#VousNeNousFerezPlusTaire

Vous ne nous ferez plus taire.
Sur cette photo, j’ai 22 ans. Je suis séparée depuis quelques mois. Je n’ai pas encore mis de mots sur mon histoire, pourtant quand je regarde l’image, quand je regarde ce que j’avais marqué sur mon corps, ce que je revendiquais avant que ce soit aussi courant de le faire, je sais qu’il se passait déjà quelque chose.
La séparation a été d’abord une libération, j’étais rayonnante. Puis ça a été l’agitation, faire, vivre, expérimenter, ne pas penser. L’agitation qui précède la tempête, la tempête qui connaît des repos puis reprend... des années de travail, pour mettre des mots puis les accepter. Rien n’est terminé, parfois j’ai l’impression que ça me suivra éternellement, d’autre fois je prends le temps de regarder en arrière et de constater que la tempête est derrière moi, que je peux espérer accoster un jour sur une terre entièrement apaisée.

Les capitaines ont toujours des blessures et des cicatrices, je ne fais pas exception, j’espère qu’un jour je ne m’apercevrai plus chaque jour qu’elles sont là, que je les oublierai un peu et que je ne les verrai pas toujours, même en posant les yeux dessus. Alors, j'espère que lorsque je les regarderai, elles m’évoqueront un vague souvenir douloureux, un souvenir qui aura définitivement cessé de m’atteindre.

(Attention : la suite de l'article parle de viol de manière plus explicite).

Plusieurs années de viols et de pressions à avoir un rapport sexuel. Mais on n’en parle pas parce que le viol dans un couple c’est tabou.


Pourquoi t’es restée ? 
Pourquoi t’as pas continué à dire non ? 
Pourquoi t’as céder ? 
Pourquoi t’as rien dit ?

Je ne savais même pas que je me faisais violer tant cette société banalise ces choses là, je ne réalisais pas que c’était du viol de finir par se laisser faire après 1h à dire non, finir par arrêter de repousser ses mains parce que sinon je sais que je ne dormirais pas, et le lendemain je serai épuisée.
Je ne savais pas que c’était du viol. Que céder n'est pas consentir.

Je ne savais pas que de se faire culpabiliser, rabaisser, insulter et mépriser parce qu’on n’a pas envie, ça n’était pas normal.

Je n’avais jamais connu personne d’autre, j'avais 15 ans lorsque nous avons commencé à nous fréquenter et j'étais intimement persuadée que personne ne pouvait m’aimer.
Je pensais que c’était normal de vivre ça, je pensais que le viol c’est un couteau sous la gorge dans une ruelle sombre. Je ne savais pas que ça pouvait être autre chose. Je ne savais pas que ça pouvait être le mec dont je suis amoureuse, dans mon propre lit sans violence physique.

Pourtant j’avais bien cette boule au ventre, cette pression dans la poitrine. Pourtant, inconsciemment j’avais bien élaboré tout un tas de stratagèmes pour échapper au sexe.
Le simple fait que je n’ai pas envie (qui je le rappelle est une raison 100% valable pour dire non comme toutes les raisons et qui doit toujours être entendu comme telle) n’était même pas le sujet. Que j’ai envie ou non, il s’en foutait et j’ai fini par me persuader que moi aussi.

Je ne vais pas faire ma thérapie ici des raisons personnelles qui m’ont fait rester, accepter, et normaliser tout ça. Elles existent, je les connais, je les travaille.

Je vais vous parler de ce qui a permis d'enfoncer le clou, de faire que mon histoire est banale, courante, fréquente et qu'elle est acceptée et même défendue par beaucoup de gens. 

Le véritable drame de mon histoire, ce n'est pas que ça me soit arrivé. C'est que ça arrive constamment, que personne ne s'en insurge et que, souvent, lorsqu'on se décide à parler, on est traitées en coupables.

Cette société qui pousse les femmes à penser qu’elles doivent à tout prix avoir une vie sexuelle riche, épanouie et dense dans leur couple, en plus de tout le reste, sinon "attention il va te larguer", cette société qui nous montre une image unique de viol, cette société qui ne nous rappelle jamais que notre non est TOUJOURS valable et légitime, cette société qui ne dit que trop rarement : tu ne dois JAMAIS de sexe à personne, cette société là est responsable du fait que j’ai mis tant de temps à comprendre que, oui c’était du viol, qu’il n’avait pas le droit et que la souffrance que j’ai ressenti pendant des années et encore aujourd’hui n’est pas imaginaire.

La première fois que j'ai osé en parler, c'est encore la voix de la société qui est sortie de la bouche de la personne a qui je me suis confiée "Quoi il t'a violé ? Il t'a frappé ? Attaché ? Battue ? Non ?! Ça n'est pas du viol, tu a cessé de dire non, si tu n'avais vraiment pas voulu, fallait continuer de le dire."

Combien de fois est-on sensée dire non pour considérer que ça voulait vraiment dire non ? 1 ? 10 ? 100 ? Jusqu'à quand nos voix vont-elles être mises sous silence, nos "non" méprisés, nos paroles remises en question ? Jusqu'à quand va-t-on nous faire porter la responsabilité de gâcher la vie de nos violeurs pour nous faire taire ? Jusqu'à quand va-t-on nous balancer les 1% de faux témoignages de viols pour nous traiter toutes de menteuses en mal de reconnaissance ?

A vrai dire, jusqu'à quand, on s'en fou.
Ce qui compte, c'est qu'à partir de maintenant, nous ne nous tairons plus. Jamais. Et ce coup-ci, ça n’est plus à nous d’arrondir les angles.
Débrouillez-vous. Débrouillez-vous avec ce que vous avez fait, avec ce que vous laissez faire, avec ce(ux) que vous défendez. Débrouillez-vous.

Ça ne nous intéresse plus de vous ménager, car qui nous ménage nous, les victimes des 93 000 viols ou tentative de viol par an ? Qui nous protège, s'inquiète de ce que nos vies à nous ne soient pas gâchées par des violeurs ? Qui s'inquiète pour nous de ce que nos agresseurs ne mentent pas pour nous nuire ?

Nous avons décidé de nous protéger les unes les autres, de nous croire, de porter nos paroles plus fort, de nous entraider, de nous écouter, de nous tenir la main, de sécher mutuellement nos larmes. Cela se fera, avec ou sans vous, car nous n'allons plus nous taire.

J’ai été violée par le type qui partageait ma vie. T’en penses bien ce que tu veux, trouve des excuses au violeur comme tu sais si bien faire. Ça ne changera jamais la réalité de mon vécu.

J’ai été violée, il n’avait pas le droit de faire ça, je n’y suis pour rien. Je ne me tairais plus.

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