Let’s talk #1 Unpopular opinion : je ne supporte plus le terme de "déconstruction"




Je ne supporte plus le terme de déconstruction.


Pourtant, je l’ai beaucoup utilisé, j’y ai adhéré mais aujourd’hui il m’insupporte. Ce n’est pas tant l’idée qu’il recouvre qui me dérange que la manière dont il a fini par devenir creux à mes yeux.


Oui, je crois qu’il faut démêler nos perceptions du monde, se demander “pourquoi on pense ce que l’on pense” comme dirait Elisabeth Feytit dans Méta de Choc. Je pense aussi qu’il est bon de se débarrasser d’un certain nombre de préconçus, notamment ceux qui alimentent des dynamiques d’oppression.

Mais dire et écrire à tout va qu’on se déconstruit ne veut strictement rien dire. Je suis intrinsèquement pour les démarches de construction, pour ce qui nous fait grandir, nous nourrit. Je suis pour que la déconstruction ne soit qu’une étape au milieu d’autres, qu’un outil utilisé pour atteindre un objectif qui lui, serait de construire quelque chose. Car ce serait se leurrer que de penser qu’on peut un jour arriver à un état de nature, dans lequel on vivrait sans aucun stéréotype.

Les stéréotypes nous servent à comprendre, analyser, appréhender de manière simplifiée un monde complexe. Ils sont nécessaires et naturels. La question à mon sens ne devrait donc pas être “comment déconstruire tous nos stéréotypes ?” mais “quels stéréotypes sont en adéquation avec le souhait de tendre vers un monde plus égalitaire?”


L’état de nature affranchi de tout préjugé n’existe pas. Pourtant, le terme de déconstruction est souvent associé à un objectif de pureté, on cherche à se déconstruire pour être un.e humain.e libre de toute dynamique oppressive. Plusieurs milliers d’années d’humanité et on s’imagine à l’aube d’un âge où les dernières pierres sont à faire tomber.

Je trouve qu’en ne parlant que de déconstruction, on laisse de côté une question qui pour moi est cruciale : l’idéologie que l’on porte. 


L’idéologie au sens premier du terme comme un “système d'idées générales constituant un corps de doctrine philosophique et politique à la base d'un comportement individuel ou collectif ; l’ensemble des représentations dans lesquelles les humains vivent leurs rapports à leurs conditions d'existence (culture, mode de vie, croyance)”.


C’est à mon sens une erreur de parler de déconstruction sans l’associer systématiquement à ce qui la motive et ce qui a vocation à servir de structure à une construction nouvelle.

L’idéologie n’est pas un gros mot, nous percevons tous et toutes le monde à travers des idéaux et des valeurs collectives et individuelles. Je crois que collectivement et politiquement nous gagnerions à les mettre plus en avant et rappeler que ce dont nous voulons nous débarrasser n’est qu’une conséquence du monde vers lequel nous voulons tendre.


En effet, face à un projet de réaménagement d’un lieu on se demande d’abord vers quoi l’on souhaite tendre. Ce qu’on jette, ce qu’on garde, ce qu’on modifie ou ce qu’on ajoute ne sont que la conséquence du projet initial. Le moteur n’est donc plus de déconstruire mais de construire et si pour construire il est évidemment souvent nécessaire de défaire des choses, la déconstruction n’est pas le but mais le moyen, tout comme la construction, la modification, le tri. Là pour moi se trouve une nuance capitale, il ne s’agit plus de dire “je me déconstruis des préjugés racistes, sexistes, validistes, LGBTQIphobes” mais je me construis selon une vision du monde qui rejette ces préjugés, donc je les déconstruis pour laisser la place à d’autres choses, d’autres réflexions, d’autres visions.


Enfin, la déconstruction telle qu’on la présente souvent, notamment sur les réseaux sociaux, a quelque chose de très individuel : JE me déconstruis de mes préjugés. Et je ne crois plus vraiment aux démarches individuelles à visée politique.


Si je suis bien d’accord que l’on doit tous et toutes se sentir concerné.e.s, qu’il est possible d’organiser une bulle dans laquelle on évite de perpétuer des oppressions sexistes par exemple et qu’il est toujours intéressant de questionner ses propres croyances, l’effet reste toutefois limité.

Tendre vers une éducation la moins genrée possible (dans un prochain article je vous partagerai peut-être mon point de vu sur l’idée que l’on puisse, en l’état actuel des choses, prétendre éduquer ses enfants hors de tout stéréotype de genre), il n’en restera pas moins que les enfants évolueront dans une société dans laquelle le genre est une composante incontournable. Si l’on peut ouvrir des portes et donner des clés à nos enfants, on ne peut pas les extraire de ce qui compose notre société (à moins de les couper totalement du monde ce qui, à mon sens, n’est pas souhaitable).


Pour moi, se déconstruire des préjugés oppressifs, c’est comme trier ses déchets ou circuler uniquement à vélo : c’est sympa, ça nous donne une bonne image de nous-même, on a le sentiment d’agir, mais ça ne sauvera pas la planète. Tant que les actions ne sont pas massives et collectives leur impact sera faible voire insignifiant.

Évidemment, les projets collectifs naissent souvent d’initiatives individuelles et il pourra m’être rétorqué que des associations, des collectifs ou groupement agissent en ce sens et qu’ils sont utiles. Je dirai : oui évidemment, ils sont même indispensables. Mais je n’ai jamais entendu une association féministe, de lutte des classes ou de combat pour les droits des personnes LGBTQI+ revendiquer sans cesse oeuvrer à la déconstruction. Ils œuvrent pour des droits, des mesures, des idéaux. La déconstruction est un outil parmi d’autres pour atteindre ces objectifs.


Je crois donc que la déconstruction est un concept mis en avant à outrance au niveau individuel mais qu’il n’a pas plus d’impact concret que le zéro déchet de Julia ou le végétarisme d’Arielle (au hasard). Tant qu’il y aura des H&M pour produire une nouvelle collection tous les 15 jours, tant que les femmes seront socialement cantonnées au rôle de mères et que les hommes ne seront pas considérés comme des co-parents à part égale et entière, tant que des gens gagneront 20, 30 ou 100 fois plus que les plus bas salaires dans une même organisation, tant que collectivement nous ne prenons pas à bras le corps ces sujets, il me semble que le reste ne sera que du verni et que revendiquer nos déconstruction individuelles n’aura pour seul impact que de nous permettre d’être validés par celles et ceux avec qui l’on partage la fameuse bulle informationnelle sur les réseaux sociaux.



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