Amerrissage #8 L’innommable




Mars 2023


J’ai toujours eu peur de la mort de mes proches. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours prié dans le noir de la nuit pour qu’ils soient protégés. Citant chaque prénom, essayant de visualiser chaque visage, pour que la prière soit plus forte.

Quand mon grand-père est mort, j’étais en train de rouler vers l’hôpital et je priais pour qu’il soit encore en vie à mon arrivée. Je roulais vite, trop vite. Et à un moment, sans que je sache exactement pourquoi, j’ai ralenti. Je me souviens très bien, j’étais sur la route de la forêt. Je me suis mise à la vitesse maximale autorisée en me disant que cette prière n’était pas juste, que s’il voulait partir avant mon arrivée je pouvais le laisser partir, j’avais passé 2h avec lui quelques heures avant, je lui avais dit tout ce que j’avais à lui dire, je le savais bien entouré, je ne pouvais pas demander au ciel de le retenir seulement pour moi. Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, il était mort depuis quelques minutes. J’ai toujours pensé qu’il est mort exactement au moment où j’ai ralenti et où je me suis dit que je n’avais pas à le retenir plus longtemps.


J’ai toujours eu peur de la mort de mes proches et j’ai toujours prié pour qu’ils en soient préservé, sauf lorsque je savais mes prières injustes. Aux derniers jours de ma mère, je priais pour qu’elle trouve la paix.

J’ai toujours eu peur mais maintenant j’ai un enfant. La mort ne me fait plus peur, elle me terrorise. Là où je me demandais comment je pourrais vivre sans telle ou telle personne, maintenant, je ne me pose plus la question, je sais. Je ne pourrai pas. Je ne survivrai pas à une douleur pareille. Là où je le suis toujours dit que je survivrai à toutes les douleurs, peu importe le temps qu’il faudrait, aujourd’hui c’est impossible pour moi de penser survivre à ça.


“Ça” que je ne nomme même pas, parce que “ça” fait trop peur, ça me tord les entrailles. Quand j’y pense vraiment, je ne sais pas ce qui m’empêche de m’évanouir. 


J’ai souvent entendu que ce qui était dur lorsqu’on devient parent c’est que quelqu’un.e dépende totalement de nous. Mais finalement c’est ça, je crois, le vrai truc auquel on n’est jamais vraiment prêt.e, que notre vie dépende autant de celle d’un.e autre. Que le monde entier puisse s’écrouler de cette manière là. C’est ça qui n’est pas comme je croyais. Car j’ai toujours cru que je pourrais survivre à toutes les blessures. Aujourd’hui je sais que je ne pourrai pas.

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