Le bateau ivre dérive.

Les chaines sont là. D'invisibles liens nous soumettent à des contraintes que nous seuls édictons. Nous sommes nos propres geôliers. Cerbères intraitables de nos vies. Qu'est-ce qui nous empêche de briser les chaines si ce n'est la terrible crainte de ne pas être à la hauteur de la liberté?

Je suis sur le ponton d'un bateau, à la croisée des chemins. Les nouveaux horizons sont proches, accessibles, ils me tendent même la main. Je me demande encore ce qui me retient sur cette embarcation qui ne semble me conduire nul part. L'eau est calme. Beaucoup trop. Le ciel n'est pas bleu azur comme il pourrait l'être en plein de mois de juin, alors que la peau se dore, que les cerises noircissent et que les rires des enfants résonnent avec mélodie dans les jardins. Mais il n'est pas non plus de ce gris anthracite qui précède les tempêtes, accompagné d'une forte odeur de terre humide, de l'agitation des insectes et du grondement sourd qui s'élève au dessus des villes. Non, le ciel est sans couleur, il attend que je décide quelque chose afin de lui donner une teinte. Il attend que j'arrête d'attendre. Il attend que je brise les chaines et que je découvre par moi-même la couleur du ciel.

Ces chaines, je les connais. Je connais la raison de leur existence, je connais les craintes qu'elles expriment, je connais le bruit qu'elles font lorsqu'elles trainent au sol. Certaines ont été brisées, difficilement mais définitivement. D'autres sont toujours là. Elles me lient à ce bateau qui dérive, au gré du vent et des marées. Il y a tout le confort nécessaire ici, je n'ai pas à me plaindre, les matins sont calmes et les nuits sont tièdes. Mais je ne suis pas maître de l'embarcation, ce n'est pas moi qui hisse les voiles, ce n'est pas moi qui choisi l'amarrage, ce n'est pas moi non plus qui décide comment affronter les tempêtes. Quelques fois, les chaines me laissent assez de leste pour arriver à changer de direction. Ce faisant j'en brise parfois une et je vais un peu plus loin. D'autres fois je n'essaye même pas d'attraper la barre par crainte de tirer sur les fers qui enlacent mes poignets. Quelques fois j'avance, d'autres fois je repars en arrière, souvent je stagne.

Il faudra reprendre la barre en main. Il faudra briser les dernières chaines. Il faudra aimer sans vergogne, vivre comme si demain n'était qu'une promesse. Il faudra être libre puisque c'est l'aspiration de toute une vie.

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