Ce qu'il y a de très grave dans la vie, c'est que rien ne l'est jamais vraiment.

Il y a une chose chez moi qui me surprend toujours un peu. Je suis paradoxale. Ce qui est finalement très banal puisque tout le monde l'est d'une manière ou d'une autre. Cependant, le paradoxe des autres me heurte souvent moins que le mien, c'est surement dû à un certain égocentrisme (lui aussi très banal et pas bien grave tant qu'on est capable de l'identifier et de s'en distancer). 

Bref. 

Je suis hyper sensible. Je suis très triste lors de drames, je pleure à en vomir, je me remplie entièrement du malheur des autres, c'est la fin du monde sans l'être. Dans ces moments là je suis dans un état d'esprit terriblement négatif, tout est foutu, je ne m'en remettrais jamais et rien ne sert d'essayer de me persuader du contraire... puisque je sais déjà que c'est faux. 
 J'ai perdu un oncle en 2008, ça a été un moment très difficile, j'ai beaucoup écrit pour évacuer. Il y avait ce sentiment du "plus rien ne sera jamais comme avant". Et pourtant, en relisant mes textes, dès le lendemain j'écrivais que j'allais m'en remettre, tout en écrivant quelques lignes avant que c'était insurmontable. Je savais déjà que j'allais me relever, mais j'avais quand même envie de me dire que je ne m'en remettrais jamais.

C'est comme ça pour tout, les décès, les ruptures,...  C'est aussi comme ça que j'ai vécu les attentats, notamment ceux de Paris en Novembre 2015. C'est comme ça que j'absorbe les chagrins des autres. Je suis très sensible au chagrin des autres. Ils me rendent parfois plus triste que les miens.
A chaque fois, je me coule moi même au fin fond de ma peine en sachant que ça n'est pas bien grave et que ça va passer. Curieusement j'aime bien ce moment. Quand tu peux plonger la tête la première dans la tristesse, que tu te mets même des poids à la taille pour être bien certaine de toucher le fond, parce que tu sais que c'est ce qui va t'aider à te soigner ensuite.
 En fait, j'ai besoin de pleurer vraiment et de me sentir comme on se sent surement la veille de la fin du monde pour apprécier réellement le lever de soleil le lendemain matin. Je vis constamment des drames, des drames d'une gravité extraordinaire. Je suis une grande écorchée de la vie. J'ai des cicatrices un peu partout et je le aime beaucoup.

Pourtant, au quotidien j'ai l'impression que rien n'est vraiment grave. Même la mort. C'est sûr que ça fait chialer la mort, ça tord les tripes et ça pince le cœur. Mais elle existe depuis la nuit des temps, et depuis la nuit des temps la vie suit irrémédiablement son cours... Il s'en est pourtant passés des choses terribles sur cette Terre, des drames comme on n'ose jamais les imaginer. La vie n'a pas frappé du dos de la main les plus malchanceux d'entre nous. Pourtant le soleil s'est levé chaque matin, sans une seule minute de retard sur son programme, le printemps a succédé à l'hiver et l'été a vu murir des fruits juteux, des enfants sont nés après que des gens aient fait l'amour. 
La vie a une mécanique bien huilée, elle étouffe le bruit des sanglots aussi rapidement qu'elle les provoque. Rien ne l'arrête, jamais. Elle agit comme un rouleau compresseur en écrasant inlassablement les joies et les peines. C'est mécanique, "c'est la consigne", comme dirait l'allumeur de réverbère.

Lorsque l'on vit un moment difficile, la phrase qui revient souvent c'est "la vie continue". Au départ je n'y croyais pas. Quand j'ai perdu des proches, quand j'ai été vraiment triste, à chaque fois je me suis demandée comment les autres pouvaient continuer à vivre, à être triviaux, à rire, à s'ennuyer, alors que ma vie semblait s'être arrêtée. Comme une montre cassée. Maintenant, je me rends compte que c'est grâce à ça que la vie finit toujours par reprendre son cours, presque comme si rien ne s'était passé. C'est parce que les enfants continuent de jouer, que les adultes continuent de faire l'amour, que les grandes personnes vont travailler, que les saltimbanques jouent de la guitare et que le soleil se lève irrémédiablement que les plus grands malheurs finissent toujours par être surmontés. 
Oui, parfois à l'échelle individuelle un drame n'est pas surmonté, il paralyse une vie et la force à s'éteindre ou la plombe pour toujours. Mais qui pleure encore Henri IV? Qui est encore ému au souvenir de Marie-Antoinette? Le chagrin de Verlaine et Rimbaud existe-t-il encore ailleurs qu'à la lecture d'émouvants poèmes? Je crois que non... et c'est très bien ainsi ! 
Nous ne sommes que peu de choses dans ce monde, alors nos chagrins... vous imaginez bien qu'il ne sont rien d'autre que de la buée sur un miroir de salle de bain : sitôt a-t-on ouvert la porte pour sortir de la pièce qu'elle n'est déjà plus que l'ombre d'un souvenir.

Bien sûr, cela ne m'empêche pas de vivre mes chagrins corps et âme, en les drapant d'un immense manteau chargé de drame et de larmes. Je me traine avec, je gémis, je pleure à en perdre la vue. 
Pourtant, au fond de moi, je sais que la vie va tout de même continuer, avec ou sans moi. Alors j'essaye un moment de la faire chanter, je lui dis que si elle ne répare pas ce qu'elle vient de briser, si elle ne remet pas tout en ordre, si elle ne fait pas preuve de bonne volonté, je ne bougerai plus. J'attendrais, immobile, qu'elle me tende la main. Mais comme le chantage ne fonctionne que si l'on y accorde de l'importance et que la vie se moque bien de mes petits états d'âme, je finis toujours par ouvrir un œil pour m'apercevoir que non seulement le monde ne s'est pas écroulé, mais que de surcroit les arbres donnent des fruits et les oiseaux se font la cour.

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