Léna, petite extra-terrestre

Dans quelques jours à peine, ça fera 8 ans que j'ai perdu l'une de mes plus proche amie. A vrai dire, c'était un peu ma sœur. Je ne me souviens pas de notre première rencontre, nous étions toutes petites, nos parents étaient amis de longue date. Quoi qu'il en soit, la vie à voulu que nous nous comprenions mieux que personne. Ce rare lien qui faisait que nous menions de longues discussions sans même parler. D'un simple regard.
Lorsqu'elle est partie, j'avais 19 ans et nous ne nous parlions plus beaucoup à cette époque, et ce depuis quelques années. Pourtant nous nous étions croisées quelques fois et le lien était resté intact.

Je me rappelle de cette journée d'appel, on a rit comme lorsque nous avions 8 ans. J'ai voulu te poser une question sur cette décision que tu avais prise quelques mois plus tôt. Je n'ai pas eu besoin de la prononcer cette question. Il m'a suffit de te la poser les yeux dans les yeux. C'était comme ça qu'on parlait des choses graves. Et sans un mot tu m'as répondu "s'il te plait, ne formule pas cette question, ne lui donne pas vie, je ne veux pas y répondre". J'ai respecté ce choix, nous n'en avons pas parlé. Nous avons préféré rire. Rire de sottises, comme nous avions toujours fait. Je t'ai recroisé quelques temps plus tard, tu m'as sauté au cou, tu étais contente de me voir et de me présenter à l'un de tes amis, c'est un joyeux souvenir.
J'ai voulu te demander ton numéro pour te joindre, mais sans savoir pourquoi je ne l'ai pas fait. Je t'ai fait une demande sur facebook, tu es partie avant de l'avoir jamais accepté.

"La fille tu sais", c'est notre invention, notre jeu, qui ne parle qu'à nous, qui ne parle plus qu'à moi. 

On a pas eu une famille classique toi et moi. Et finalement ça facilitait les choses, tu ne m'as pas posé de questions lorsque je t'ai demandé de nous cacher un jour où je voulais éviter de croiser ma mère dans la rue. Je ne t'ai pas demandé de m'expliquer l'absence de ton père. Nous n'avions pas à nous justifier l'une à l'autre. Nous étions si différentes et pourtant nous nous comprenions si bien. Nous avons partagé nos blessures, en ne tombant jamais dans l’apitoiement collant et mielleux. On s'écoutait l'une l'autre, simplement et sans jugement, sans accorder aux mots de l'autre plus d'importance qu'ils n'en avaient. On avait des problèmes, comme tout le monde en somme. On n'a jamais mis de gravité dans notre relation. De toute façon la vie c'est comme ça, faut pas en faire des tonnes, faut juste faire avec.
Je me souviens qu'à une époque, on a arrêté de se parler, tu déconnais un peu, j'avais pas envie de suivre et puis tu as cru que je t'avais dénoncé. C'était faux mais du coup on ne se parlait plus. Et un jour on s'est retrouvées toutes les deux au même cours d'équitation. On était fières et remplies d'orgueil, enfin du moins on essayait. Alors au départ on s'est rien dit. On échangeait de noirs regards méprisants. Je crois que ça a tenu 15 minutes avant qu'on commence à se raconter des conneries et qu'on passe le reste de la séance à rigoler. On rigolait à des blagues pas drôle, on faisait semblant de pas savoir compter, je me souviens. Et on riait, à gorges déployées. Le genre de truc qui ne me fait rire que si c'est avec toi que je le partage, simplement parce qu'il y a zéro potentiel comique là dedans. Le potentiel comique c'était l'association de nous deux. Tu nous mettais n'importe où, avec n'importe quoi et ça devenait quelque chose de marrant. Toujours. Même des années après quand on se recroisait, la magie opérait chaque fois. Irrémédiablement. 

Je suis sure que ça fonctionnerait toujours si t'étais encore là. Quand on est revenu de tes obsèques j'ai dit à mon père en pleurant : "j'étais persuadée que nos chemin finiraient par se recroiser, je pensais qu'elle serait toujours quelque part dans ma vie". Ta mort a été insupportable pour moi. Même si j'en ai peu parlé. 
Tu sais quoi Léna, je pensais avoir oublié, que la plaie était totalement refermée. Et puis cette nuit j'ai rêvé de toi, t'étais là, comme si t'étais jamais partie. C'était comme exactement comme avant : pas besoin d'un résumé des épisodes précédents, une simplicité déconcertante. On se revoyait et on reprenait là on où avait laissé les choses la dernière fois qu'on s'étaient vues. Comme si le temps n'avait pas d'emprise sur nous. Parce que le temps n'avait pas d'emprise sur nous. 
En me réveillant ce matin j'ai réalisé que tu me manquais toujours. Oui il y a un tas de gens formidables dans ma vie, mais une personne comme toi non. Une relation immuable, solide et constante. Malgré le temps, la vie, les chagrins et les joies. J'ai pleuré en pensant à tout ça aujourd'hui.

Je n'avais pas pensé au fait que la vie pourrait nous séparer. J'ai toujours ce regret de n'avoir pas été là pour toi au bon moment, lorsque tu en avais besoin. J'ai toujours cette peine en moi de ne pas avoir été une vraie amie, une amie qui essaye de te montrer que tous les chemins ne sont pas bardés d'épines, qu'il existe des lendemains meilleurs et des instants joyeux. Tu étais une belle personne Léna, tu t'es pris la vie en pleine gueule, tu as épongé les peines des autres, tu as encaissé les malheurs du monde et ça a été trop pour toi. 

J'ai des regrets et surtout beaucoup de peine. Tu me manques terriblement. Alors, lorsque c'est trop difficile je regarde les étoiles, elles ont ton rire, puisque tu vis dans l'une d'elles, puisque tu ris dans l'une d'elles. 

Moi aussi j'ai des étoiles qui rient.

Ton amie qui t'aime.

P.S. : viens me rendre visite dans mes rêves de temps en temps, ça me fait tellement de bien...

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