L'avortement - Le prénom (2)


 
J'ai donné un prénom a mon embryon.

J'aurai pu continuer cette série avec un autre sujet, un sujet qui aurait semblé plus évident pour la majeure partie des gens. Pourtant, ce qui a été évident pour moi c'est que je voulais un prénom pour cet embryon et ce quelque soit l'issue.

Le samedi 13 juin 2020, je fais un test de grossesse qui se révèle positif. A ce moment là nous sommes le matin, je suis chez mon mec, on découvre la nouvelle ensemble.
Après l'annonce, un café, une chocolatine et toutes les larmes de mon corps, je décide de rentrer chez moi. J'ai des choses à faire, envie de retrouver ma maison, mes chats et de me retrouver moi.

Je repars à pieds, pour 20 minutes de marche, avec de la musique dans les oreilles, Francis Cabrel "Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai", en boucle. Je revois parfaitement le moment où, sur le chemin, j'ai décidé que, quoi qu'il en soit, cet amas de cellules porterait un nom.

Je vous présente donc Théophile. Théophile, on ne sait pas très bien ce qu'il a été, il n'a ni sexe, ni genre. Probablement était-il une poche vide, un "oeuf clair" comme disent les médecins. Peut-être un embryon un peu moins pressé que la norme de se développer.

Il s'appelle Théophile pour trois raisons.
    D'une, je ne voulais pas un prénom que j'aurai pu donner à mon enfant. Même si Théophile est un joli prénom, je sais qu'il ne sera jamais le prénom d'un potentiel futur enfant.
    De deux, Théophile est le second prénom de mon grand-père disparu en août 2019. Je ne crois pas aux hasards, je crois que les choses ont un sens, une raison d'être. Cette grossesse je l'ai pris comme un message de mon grand-père. J'ai eu le sentiment, dès les premières heures après l'avoir appris, que ce que je retirerai de tout cela serait très lié à lui.
Aujourd'hui encore, j'ai tendance à penser que cet œuf qui n'aurait probablement pas donné un enfant était là pour m'apprendre à laisser partir ce petit ballon qui compressait mon ventre depuis la mort de Papy.
    La troisième raison, c'est que je voulais donner un prénom et que Théophile est venu à moi sans que j'ai à y réfléchir, c'est le premier qui est venu à moi. Là encore j'y vois un apparition impromptue de mon grand-père, je vais donc vous demander de ne pas juger ni de donner votre avis à ce sujet, les chemins du deuil sont sinueux, irrationnels et jamais comparables les uns aux autres.
 
Si je vous parle de tout ça c'est parce qu'avant juin 2020, j'ignorais tous les trucs bizarres qu'on peut faire quand on est enceinte et qu'on veut avorter. Se toucher le ventre, ne pas boire d'alcool (jusqu'à ce qu'on me fasse la 3ème échographie et qu'il n'y ait toujours aucun embryon viable à l'horizon), donner un prénom. Je n'ai parlé à personne de ce prénom avant ces articles, ni à mes amies, ni à mon copain, ni aux soignantes, et c'est en partie parce que je me pensais bizarre de faire ça, jusqu'à ce que je lise "Il fallait que je vous le dise" de Aude Mermillod (une merveille ce roman graphique).
 
Je pensais naïvement que c'était plus simple que ça d'avorter, ou du moins que pour moi ça le serait. Je n'avais pour autant jamais imaginé que toutes les femmes traversaient ce moment sans turbulences, j'étais même plutôt aux fait des obstacles qu'on peut rencontrer (procéduraux, psychologiques, médicaux, familiaux,...) veut avorter. Cependant, je croyais orgueilleusement que moi qui avais une bonne connaissance de toutes les procédures administratives et médicales de l’IVG bien avant toute cette histoire, moi qui avait suivi les combats et la réforme de 2016 sur la suppression du délai de réflexion, moi qui étais prête a prendre la défense corps et âme du droit à l’IVG, qui suivais tous les témoignages de maltraitance médicales lors des procédure d’avortement,... moi je ne pouvais pas me faire surprendre à l’inconnu dans cette histoire.
 
Excès de confiance.
 
Car si connaitre les procédure, savoir ce qu’il se passe quand on avorte, connaitre mes droits, être au courant que certain·e·s soigant·e·s se permettent parfois des réflexions et des jugements déplacés est d’une aide précieuse, que cela donne des ressources en plus, que cela permet d’être plus confiante sur ses démarches, je n’avais jamais entendu parler des émotions qui m’ont assaillies, les questions, la perte de repère, le fait de devoir supporter des mots de grossesse alors qu’on est en train de faire les démarches pour l’arrêter (nausées, manque d’appétit, fatigue monumentale, émotions anarchiques, crises de larmes,…).
Personne ne m’avait jamais dit « c’est un moment difficile, même lorsqu’on est sure de soi. Parce qu’on cumule un choix qui peut ne pas être évident, avec une procédure médicale d’une lourdeur incroyable et des maux de grossesse épuisants ».
 
Et ça, je l’ai découvert sur le moment. J’ai découvert qu’on pouvait être intrinsèquement favorable au droit à l’IVG et se sentir pourtant incapable d’avorter (je reviendrai prochainement sur le processus psychologique qui s’est déroulé en moi pour en arriver à décider d’avorter). J’ai découvert qu’on pouvait passer une semaine à changer d’avis plusieurs fois sur ce qu’on voulait faire. J’ai appris à quel point la théorie et la pratique étaient deux univers à la fois proches et extrêmement éloignés. 
Et même si aucun témoignage, récit ou avertissement sur le sujet ne m’aurait permis d’avoir la connaissance que l’expérience personnelle donne, j’aurai aimé savoir que ce que je vivais était normal, que les contradictions qui me traversaient avec été vécues par d’autres et que je n’étais pas seule.
 
Oui, j’ai donné un prénom à mon embryon. Théophile a partagé mes émotions pendant plusieurs semaines, je l’ai protégé de l’alcool et, d’une certaine manière, je l’ai aimé. Il m’a fait grandir, changer, il m’a appris à redéfinir mes priorités, à imaginer l’avenir. Il nous a conduit, avec mon copain, à nous demander ce qu’on voulait pour nous, pour demain, pour plus tard, à aborder de nouveaux sujets.
 
J’ai donné un prénom à mon embryon, et j’aurai bien aimé savoir avant que je ne suis pas la seule à avoir fait ça.


N.B. : Je ne parle ici que de mon expérience et de mes ressentis. Chaque expérience est unique et envisagée différemment par chacun·e, il n'y a pas de vérité universelle, pas plus que d'expériences plus ou moins valables que d'autres.

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