L'avortement - L'envie de raconter (1)

Il fallait que je trouve les mots, pour parler de ce que je traversais. Je n’en ai parlé qu’a quelques très proches, parce que j’avais besoin d’une bulle protectrice et que je ne voulais pas prendre le risque d’y faire entrer trop de monde. Puis est venu le besoin d’en parler, de partager cette expérience. Peut-être car j’ai du mal à trouver mes expériences vraiment légitimes si elles ne servent à personne à part moi. Aussi parce j’ai ce besoin d’écrire et de partager ce que j’écris. 

J’ai aussi cette intime conviction que les femmes ont des intimités qui sont politiques, car au cœur de tabous, de censures, d’injonctions. Au cœur de tout cela il y a notre utérus, ce qu’il s’y passe ou non est fondamentalement politique. Loin de l'intimité qu'on pourrait supposer, les femmes doivent faire quelque chose de leur utérus et s'en justifier. Toutes les femmes doivent au moins une fois dans leur vie s’expliquer de leur choix, leur non choix, leur choix déçu ou perturbé quant à l'utilisation de leur ventre.

Pourquoi n’as tu jamais eu d’enfants ? Pourquoi en as-tu eu tard ? Ou tôt ? Pourquoi tu n’as pas adopté si tu n’a pas pu en concevoir ? Pourquoi tu n’en as eu qu’un seul ? Pourquoi tu en as eu 6 ? Pourquoi tu n’en veux pas ? Tu sais que tu finiras par en vouloir ? Par regretter ? 

Car les femmes sont avant tout, pour la société, un ventre fertile.

Alors mon histoire est celle de 200 000 personnes chaque année, celle d’une femme qui tombe enceinte et qui ne souhaite pas poursuivre cette grossesse, pour des raisons qui lui appartiennent, et toutes les raisons sont légitimes.
Le 13 juin, après 10 jours de retard de règles je fais un test, je sens dans mon corps, je sais dans mes tripes, que je suis enceinte. Mais mon esprit rationalise : je porte un DIU* au cuivre, les risques de l’être sont minimes. J’ai à peine fini de faire tremper la bandelette dans mes urines que le + s’affiche. 
Les milliers d’émotions, les questions, les larmes. J'ai débordé. Pendant 3 semaines je me suis sentie tour à tour apaisée, au bord du gouffre, prête à exploser, en colère, reconnaissante. J'ai eu peur, j'ai eu mal, j'ai été epuisée. 
J’ai traversé 3 semaines éprouvantes ponctuées de 10 RDV médicaux, d’angoisses, de formalités, avant de prendre ce fameux médicament qui me tordra le ventre à m’en faire vomir. J’ai envie de raconter cette histoire car il reste tant à faire pour rendre cette expérience de l'IVG moins dure.
 
C’est intrinsèquement difficile d’avorter, Simone Veil avait raison, on n'avorte jamais de gaieté de cœur. Même si, contrairement à elle, je ne pense pas que ce soit nécessairement un drame dans la vie d’une femme. C’est dur, comme beaucoup de choix qui nous amènent à questionner le plus profond de nous-même, cela peut être dramatique pour certaines. Pas toujours, pour moi ça a été une épreuve, pas un drame.
J’ai envie de raconter ce qui m’a attristé, ce qui m’a mise en colère. Je veux dire qu’on m’ait fait faire 3 échographies sans que jamais personne n’ai pu me dire clairement que cette grossesse cachait en fait "un œuf clair" ou un "sac vide", qu’on me disait que "peut-être" mais "pas sûr" et puis "on va encore attendre un peu" pour s’en assurer. Au milieu de ça il y avait moi qui n’en pouvait plus d’attendre et d’avoir une vie sur pause, sans alcool, sans excès, pour protéger cet embryon qui ne serait pourtant jamais un enfant. Cet embryon que je préservais comme un enfant.
 
Je voudrais raconter la fois où dans le laboratoire d’analyse j’ai presque dû crier que j’allais faire une IVG car la secrétaire voulait savoir "pourquoi" on me faisait faire une carte de groupe sanguin et n’entendait pas ma réponse.
Je voudrais parler des papiers qu’on te fait signer au centre d’IVG dans lesquels tu t’engages à payer la consultation de ta poche si finalement tu n’avortes pas, de l’échographie qu’on m’a fait refaire car sur la précédente il manquait une lettre (UNE !) à mon nom de famille, du fait que personne au centre ne m’a demandé comment j’allais, si j’avais besoin de parler, si j’avais du soutien à l’extérieur, de comment je me suis sentie un numéro plus qu’une patiente.
 
Raconter qu’on m’a fait avoir peur d’avoir le COVID parce que ma température était un peu au dessus de la moyenne sans être de la fièvre, en me demandant si jamais d’autres symptôme, si j’avais couru, si j’avais chaud, que ça n’était pas normal... pour entendre 5 minutes après une autre infirmière expliquer que "c’est normal, les femmes enceintes ont une température corporelle un peu au dessus de la moyenne".
 
Dire qu’il a fallu que je finisse par les presser et insister pour ne pas que les délais de l’IVG à domicile se terminent et m’obligent à être hospitalisée.
Dire que malgré tous ces défauts, je ne suis pas tombée sur des soignantes malintentionnées, que c’est la procédure qui, majoritairement, a fait les mauvaises expériences. Personne n’a porté de jugement sur mes démarches, certaines personnes m’ont apporté une douceur dont j’avais besoin (merci à cette pharmacienne qui m’a rassurée sans que j’ai à lui dire que j’étais stressée).
 
Et puis je voudrais demander : comment la médecine, en pointe sur des domaines variés, capable de faire des choses qui ressemblent à de la magie, n’a pas encore réussi à inventer l’IVG indolore ? Pourquoi j’ai eu mal au ventre à ce point, la diarrhée, pourquoi j’ai vomis ? Pourquoi alors qu’on sait opérer des cœurs sans ouvrir le thorax, on ne sait pas interrompre une grossesse sans faire mal ? Y a t il seulement jamais eu des recherches pour rendre ce moment moins douloureux ?
 
Je raconterai aussi celles et celui qui m’ont tenu la main, qui m’ont demandé de mes nouvelles. Je rappellerai à quel point c’est essentiel d’être soutenue dans les épreuves qu’on traverse. Je parlerai de celui qui a dû essayer de m’aider dans le brouillard qu’il y avait partout autour de moi, qui a essayé d’apaiser toutes ces choses que moi-même je ne comprenais pas, que j’ai traité durement alors même qu’il faisait sincèrement de son mieux.
 
Je raconterai tout ça. J’ai tout écrit, chaque jour, chaque examen. Parce que c’était important de me dire que j'allais peut-être en faire quelque chose, un peu aussi pour faire exister ce qui n’existera jamais.
Et puis, il y avait cette envie de dire que nous n’avons pas à silencier nos douleurs, qu’on a le droit de les garder pour soi, mais qu’on n’a pas à avoir honte de les partager. Et moi j’ai envie de partager, de dire que si nous sommes 200 000 par an à passer par là en France, cela signifie que tu n’es pas seule. Tu n’es pas seule et tout ce qui te traverse en ce moment est normal et légitime.
 
 
***
 
Cette histoire c’est mon histoire mais pas seulement. Je l’ai appelé Théophile car j’avais besoin d’un nom pour ces petites cellules qui ont chamboulé quelques semaines de ma vie On va parler IVG les prochains temps. Parce que ce que j’ai vécu m’a convaincu jusque dans mes tripes que Simone avait raison : il ne faudra qu’une brise de vent au mauvais moment pour que ce droit nous soit retiré.
 
NB : Il s'agit ici de mon expérience personnelle. Chacun.e vit une IVG de manière différente, a un parcours de soin différent. En aucun cas mon témoignage a plus de poids qu'un autre ou est une vérité universelle. C'est mon histoire, une histoire qui ressemble a beaucoup d'autre mais qui peut être différente de la votre.
 
*Le DIU est le nom médical du stérilet, je préfère DIU a stérilet car, contrairement à ce que pourrait laisser penser cette seconde nomination, le DIU ne rend pas stérile.

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