Comment on fait un bébé ? #30 Grossesse et bodyshaming




A la fin de ce texte j’ai intégré les définitions de bodyshaming (ce dont je parle ici) et de grossophobie, afin que la distinction soit claire pour tou.s.tes. Ce que j’évoque ici me concernant est du bodyshaming.

Merci à Sylvie @la_gazette_de_silvie (sur Instagram) et Sarah @citrondenovembre (sur Instagram) pour la relecture !


Je n’en peux plus qu’on commente mon corps, je n’en peux plus des “ça va, t’as pas trop grossi”, “de dos on voit même pas que t’es enceinte”, “t’as pris combien ?” ou “les filles comme toi ça m’énerve, moi j’avais pris X kg”.

Je n’en peux plus que les gens parlent de mon ventre sans aucun contexte, je n’en peux plus que des gens parlent à mon ventre, presque avant de s’adresser à moi.


Je déteste parler de mon poids. Je déteste qu’on me complimente d’être mince. Je n'ai jamais fait d’effort particulier pour l’être. Enfin si, les efforts que j’ai fait parfois c’était me priver de repas, puis me jeter sur des tonnes de trucs sucrés. C’était malsain. Et qu’on me complimente d’avoir le corps que j’ai. Ce corps, je l’ai parce que c’est comme ça que je suis ou parce que mange mal, l’un dans l’autre j’ai toujours détesté ça et ça m’a toujours mise profondément mal à l’aise.

La seule chose que j’ai jamais apprécié, c’est à la période où je faisais beaucoup de sport, quand on me parlait de mes muscles. Souvent pour me dire “attention une fille trop musclée c’est pas joli” d’ailleurs. Mais je m’en fichais, j’aimais être une fille trop musclée. Ça fait peur aux mecs trop cons les filles trop musclées et rien que pour ça c’est assez jouissif.



Vu que je suis mince et que je l’ai toujours été, que je ne parle jamais de ma corpulence en dehors d’une sphère intime, j’ai quand même été très épargnée par les commentaires sur mon poids. Mais la grossesse c’est le grand déballage.


C’est terrible mais je vois dans les yeux de certaines (qui elles aussi sont minces d’ailleurs) la déception que je n’ai pas pris plus de poids que ça. On aimerait bien que la grande blonde mince fasse l’effort de ne plus entrer dans les standards le temps de sa grossesse pour pouvoir bitcher sur son corps. On me le fait sentir et parfois on me le dit de façon à peine masquée.


Je n’en peux plus car je n’ai rien à répondre à ça. Je ne tire pas de fierté particulière, je n’ai pas envie de jouer à la concurrence de celle qui a le “mieux géré” le poids de sa grossesse. Je n’en peux plus car ça active mes angoisses. Oui, entre moi et moi-même, je suis rassurée de ne pas avoir pris beaucoup de poids et en même temps paniquée par l’impression d’en avoir pris trop. Mais ça, on ne peut pas en parler sincèrement lorsque les gens glorifient la minceur.

Chaque jour je vérifie que je n’ai pas grossi du visage et quand j’ai l’impression que c’est le cas, je prie pour que ce soit juste de l’eau. Mais ça on n’en parle pas aux gens qui disent que tu les énerves parce que tu n’as pas tant grossi. Parce que ces gens là balayent tes angoisses du revers de la main, que ça les agace que tu sois mince et que tu ne le vois pas, ou que parfois ça les amuse de voir que même une femme mince souffre des préjugés sur la grosseur.


Qu’on ne se méprenne pas, je ne pense pas un seul instant subir de discriminations liée à mon poids, la grossophobie inversée ça n'existe pas. J’assiste juste à une expression de cette grossophobie et je me prends la meilleure part de celle-ci. Parce que chaque fois que j’entends ce genre de commentaires je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qu’on me dirait si j’avais pris beaucoup de poids “Oula de dos on voit bien que t’es enceinte !”, “attention ne grossis pas trop après c’est dur à perdre”, “attends, t’as pris combien ? Parce que moi je n’avais pris que x kg”. Et je trouve ça terrorisant.


Je n’en peux plus et j’ai peur de la suite. Parce qu’ensuite on me dira sûrement que “c’est bien t’as bien perdu ton poids de grossesse”, “les filles comme toi qui perdent tout aussi vite ça m’énerve” ou alors si je ne perds pas rapidement ou pas du tout “oh non mais t’inquiète ça n’est pas grave de ne pas tout perdre” (sans que je n’ai rien demandé évidemment) ou peut-être qu’on me proposera des régimes à la con, qu’on me dira qu’avec un peu de sport mon corps reprendra son aspect initial. Qu’on utilisera ce ton que je connais qui dit “oh mais c’est pas grave les quelques kg en trop, tu as essayé la méthode X” (une belle façon de te dire que c’est pas grave mais quand même un peu et qu’il faudrait songer à remédier à ce problème de kg).


Je ne parle jamais de mon corps parce qu’il est rarement possible d’en parler sincèrement dans une société qui glorifie la minceur et conspue les gros.ses. Je ne parle jamais de mon corps car j’aimerai pouvoir dire que cette société me pousse à me trouver grosse alors que je ne le suis pas, et que même si j’ai conscience de ne pas l’être ce n’est pas ce que je perçois de moi la plupart du temps. Je n’en parle pas car on attend de moi la recette de ma minceur, parce qu’il existe une concurrence absurde entre les femmes. Parce que je déteste participer à tout ça.

Je n’en parle pas, pourtant depuis que je suis enceinte on me parle tout le temps de ça. Et je n’en peux plus.



Juste après avoir écrit ce texte j’ai reçu en réponse à une photo de moi (et mon ventre obviously) “tout est dans le ventre, bravo !”

Comme pour illustrer ce que je disais. C’est dit avec de bonnes intentions, de la part d’une personne que j’apprécie, mais je n’en peux plus. Je n’ai rien à répondre à ça (et je ne l’ai pas fait d’ailleurs). Bravo pour quoi ? Avoir un physique qui laisse imaginer que j’ai contrôlé l’incontrôlable ? J’aurai échoué si ça n’avait pas été “tout dans le ventre” ?

On ne choisit par sa morphologie, on ne choisit pas sa grossesse, on ne choisit pas le nombre de kg qu’on prend et où on les prend, on ne choisit pas si on pourra ou pas continuer à bouger ou faire du sport jusqu’au bout. On ne choisit pas donc il n’y a ni gloire ni honte à avoir de nos corps de grossesse (de nos corps tout courts d’ailleurs).

Qu’on me dise que je suis belle, que j’ai l’air épanoui, que la grossesse me va bien, ou que sais-je, pourquoi pas. C’est même souvent plaisant. Mais qu’on me dise bravo d’avoir juste traversé ma grossesse comme j’ai pu non.


Car vous savez quoi, une des raisons pour lesquelles je n’ai pas pris beaucoup de poids c’est qu’à 3 mois de grossesse je perdais ma mère et que s’en sont suivi des semaines sans aucun appétit. Bravo quoi alors ?


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Body shaming désigne le blâme que subit une personne par une autre personne ou un groupe d'individus (souvent sous forme de mots cruels), à cause de l'apparence de son corps, lequel peut être jugé trop gros, trop maigre, trop musclé, etc. (Source : L’internaute)


La grossophobie est l’ensemble des discriminations vécues par les personnes grosses en raison de leur apparence physique. Elle s’exprime dans tous les domaines de la vie : familial, intime, santé, professionnel, social. (Source : site de l’association Gras Politique qui lutte contre la grossophobie)















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