Amerrissage #12 Comment font les autres ?




Mai 2023


L’autre jour, fatiguée, bloquée sous mon bébé, une lessive en train de moisir dans le tambour de ma machine, sans savoir quand j’allais pouvoir me libérer 10 minutes pour manger quelque chose, j’ai pleuré.

J’ai pleuré parce que la veille j’ai croisé une femme avec un bébé d’environ un mois en écharpe et des sacs de courses à la main et que je me suis dit que moi je n’arrivais même pas à me lever de mon canapé pour aller me servir un verre d’eau.

Je ne sais pas comment font les autres. Celles qui doivent gérer les courses, le repas, le ménage et d’autres enfants. Je ne sais pas comment elles font pour faire tout ça. Je sais, elles n’ont sûrement pas le choix. Mais même si je n’avais pas le choix je ne crois pas que je pourrais. Quand j’arrive enfin à poser mon bébé, je n’ai pas la force pour m’occuper de la vaisselle, je prends une douche. Quand j’arrive à laisser mon fils sur son tapis quelques minutes, je ne peux pas m’atteler à étendre la lessive, je bois un thé chaud.

C’est con de dire ça, j’ai lu toutes ces femmes qui sacrifiaient la douche ou la boisson chaude car une lessive attendait, qu’il fallait faire des courses ou qu’il y avait un autre enfant à aller chercher. Moi je me permets de ne pas le faire car je sais aussi que quelqu’un fera tout ce que je n’ai pas pu faire sans rien me reprocher. Pourtant j’ai l’impression que je n’aurai pas la force de le faire dans tous les cas, que ça finirait de liquider le peu de santé mentale qu’il me reste, que ma douche quotidienne et mon café chaud sont des remparts que je protège pour éviter que la forteresse s’effondre.

Ça paraît cool comme ça, d’être une femme qui sait se prioriser. Mais je me sens faible, je me sens vulnérable. Parce que je vois les autres faire, elles ont l’air si fortes que je les envie. Et parce que j’entends les jugements murmurés dans mon dos, les critiques formulées à demi mot. On n’est pas une femme bien lorsqu’on se préfère à la propreté de son intérieur, on n’est pas à la hauteur lorsqu’on est à la maison toute la journée mais qu’on attend que son compagnon rentre le soir pour qu’il fasse l’intendance. Sûrement que quelque part, on n’est pas une bonne mère lorsqu’on ne sait pas comment faire pour poser son enfant.


Je devrais avoir l’habitude de ne pas être une femme recommandable mais ça n’est finalement jamais très amusant d’être jugé parce qu’on est cette femme qui ne fait pas ce qu’on attend d’elle. D’être la sorcière, non par ses pouvoirs magiques mais par la punition qu’on lui inflige pour la faire rentrer dans le rang.


Avant je couchais trop, maintenant je ne me lève pas assez.

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