De l'émotion à la raison.

Depuis six jours la France est en émoi. Depuis le 13 novembre au soir, pas un jour ne s'est écoulé sans que je ne verse des larmes, excepté aujourd'hui. C'est pourquoi j'ai décidé d'écrire sur toutes ces émotions qui nous ont envahi ces derniers jours et de la nécessité d'apprendre à les maîtriser.

La semaine qui vient de s'écouler s'inscrira comme l'une des plus éprouvantes de ma vie, une semaine émotionnellement éreintante. Depuis vendredi soir 22h où j'ai versé mes premières larmes, dans le tramway bordelais qui me ramenais chez moi, en apprenant que des attentats se déroulaient au même instant à Paris, mes journées ont toutes été rythmées par une succession anarchique d'émotions aussi fortes que contradictoires. Les premières larmes qui ont coulé étaient celles de la peur. Des proches se trouvaient à Paris ce vendredi et une immense détresse s'est emparée de moi en les imaginant pris dans cet enfer. Passées ces longues minutes à la suite desquelles chacun m'a rassuré et assuré qu'il était sain et sauf, à l’abri du carnage ambiant, les émotions n'ont cessé de se succéder : abasourdissement, tristesse, colère, incrédulité, empathie. Le dictionnaire entier des émotions y est passé, largement accompagné de son flot de larmes chaotique dans lequel je tentais de noyer tant bien que mal une explosion d'émotions que je n'arrivais pas à maîtriser. Chaque matin depuis les attentats je me suis réveillée avec l'impression que tout allait mieux, pour me rendre compte au bout de quelques minutes ou quelques heures, selon les jours, que non seulement rien n'allait mieux mais que c'était parfois pire que la veille.

C'est de ces émotions que nous avons tous vécus à notre manière que je souhaiterai parler maintenant, de l'importance de les laisser s'exprimer et de la nécessité de ne pas les laisser nous envahir au point d'abandonner totalement nos décisions et nos actes à ce qu'elles nous dictent.
Dans une période comme celle que nous traversons aujourd'hui, les émotions sont fortes et partagées, elles guident certaines de nos pensées conditionnent parfois nos journées et sont omniprésentes dans chacun de nos actes. Dans un premier temps l'expression débordante de toute ces émotions de la part de tous a été pour moi d'un réconfort inestimable. Se dire que l'on s'aime, que la France est un beau pays qui ne se laissera pas mettre à genoux par une poignée de minables, que les français sont solidaires au delà des différences, que la beauté de la France réside dans cette diversité qui a été attaquée,... Tout cela a contribué à un élan collectif incroyablement positif, élan qui me donne une confiance réelle en notre capacité à surmonter ces tristes évènements avec dignité. C'est tout cet amour qui m'a porté les premiers jours suivants les attentats, un amour entremêlé de larmes, mais un amour qui n'en restait pas moins extrêmement fort dans mon esprit et mon cœur.
Puis j'ai commencé à ressentir de la colère, une colère le plus souvent froide, tempérée et mesurée une colère normale dans de telles circonstances dira-t-on. Mais par moment cette colère s'est transformée en quelque chose de déraisonné, teinté d'une pointe de cette haine que je tente de combattre à chaque instant. Oui, par moment j'ai éprouvé de la haine et je me suis surprise à avoir des pensées qui n'ont rien à voir avec celle que je suis. Il n'est pas dans mes habitudes de souhaiter du mal aux autres, même aux pires salauds de ce monde, pour une raison très simple : je refuse catégoriquement de leur offrir ce plaisir de m'abaisser aux jeux infâmes qui sont les leurs. Il ne s'agit pas d'une candeur qui me conduirait à penser que ces hommes sans âmes ont, au fond d'eux, une gentillesse oubliée, il ne s'agit pas non plus de dire qu'ils sont de bonnes personnes perverties par une blessure profonde. Non, rien de tout ça. Il s'agit simplement d'affirmer fermement que je vaux mieux que ces moins que rien et que je n'ai pas une seconde à perdre avec cette haine qui les ronge jusqu'à l'os. C'est donc au moment précis où je me suis surprise en train de flancher pour un sentiment de haine, aussi petit qu'il ait été, que j'ai compris la nécessité de prendre rapidement en main mes émotions, de les comprendre, d'analyser leurs causes et de les modérer pour ne pas sombrer dans une bêtise stérile.

Je crois que cette démarche est loin d'être inutile et de ne pas être la seule à en avoir besoin.
Il est nécessaire d'être prudent. Si la prudence signifie être vigilant afin d'éviter le danger que représente la menace terroriste, elle signifie également rester prudent face à nos propres pensées et conclusions. Oui, la prudence c'est aussi réfléchir aux émotions et sensations qui nous animent, spécialement dans un moment comme celui-ci où nous nous sommes retrouvés assommés, l'esprit embué de larmes et d'incompréhension. Il est important, je crois, de ne pas sauter sur chaque information, chaque idée, chaque déclaration de manière brutale ; que ce soit pour y adhérer ou pour les rejeter. Il me semble que l'instant est à la mesure, à la prise de recul et à la réflexion. Si ce n'est certes pas chose facile, cela apparait nécessaire afin de ne pas sombrer dans la même bêtise que nos détracteurs : un extrémisme aveugle et aveuglé.

C'est cette capacité à la réflexion, au débat et à l'échange qu'ont voulu anéantir ces prêcheurs de haine. C'est pourquoi je souhaite porter au plus haut ces valeurs démocratiques qui font de nous des êtres capables de vivre ensemble, malgré les différences et les oppositions, chose dont ils sont bien incapables.

"Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis."
(Antoine de Saint-Exupéry) 


Commentaires

Articles les plus consultés