Maltraitance médicale

Aujourd'hui je devais passer une visite médicale avec un médecin agréé, pour qu'il déclare ou non mon aptitude à exercer une activité professionnelle. Si j'en parle ici c'est que ce que j'ai vécu chez ce médecin n'est pas normal. C'est même grave, je crois. Je vous avoue que je suis un peu sous le choc et que les mots sont difficiles à trouver.

Je vous raconte tout depuis le début. J'arrive chez ce médecin que je ne connais pas, en entrant je croise une de ses patientes qui me dit "Il n'est pas là, quand je suis arrivée pour mon RDV de 14h00 je l'ai croisé il m'a dit qu'il revenait dans 5 minutes, ça fait une demie heure il n'est toujours pas revenu". Bon, je me dis que je vais attendre et qu'il va bien finir par réapparaitre. 
Dans la salle d'attente c'est ambiance radio nostalgie, la musique est forte et bien datée. Ça me fait rire, parce que c'est assez surprenant, j'en fais même une série de snaps pour m'occuper.
Il finit par arriver et prend avec lui la dame qui l'attend depuis maintenant plus d'une demie heure. A aucun moment il ne s'excusera de son retard, je crois qu'il est au dessus de tout et surtout de nous, ses patients. Lorsque la dame ressort de sa consultation il ne daigne même pas sortir de son bureau pour me faire venir, il appelle à travers les murs et les portes "Patient suivant !". 

Je n'avais jamais vu ça, un manque de respect aussi affiché de la part d'un médecin envers ses patients. Il y a une erreur dans l'équation. Mais sur le coup je ne relève pas trop, j'en ris un peu intérieurement.

J'entre, le mec à la braguette ouverte. Tiens. J'ai un peu envie de rire mais je commence à me sentir mal à l'aise. C'est beaucoup trop de choses inadaptées pour que je trouve ça franchement marrant. Surtout que la patiente c'est moi et que je me sens vulnérable lorsque je suis patiente, que j'ai besoin d'un médecin bienveillant et rassurant. C'est très loin d'être son cas.
Le téléphone sonne, il répond à sa patiente en l'appelant "ma chérie", je sais que c'est une patiente parce qu'il raye une consultation sur son agenda en disant "t'inquiète ma chérie, y a pas de quoi." D'accord, je ne connais pas les relations qu'il a avec cette patiente là précisément, mais ça commence à faire beaucoup pour que je considère ça comme un simple détail. Dans ma tête ça va très vite, je commence à m'auto-coacher pour savoir quelle réaction avoir s'il a un geste déplacé envers moi. Je me répète et répète encore qu'il faudra l'envoyer chier. Je me donne du courage, c'est pas évident.

Il se fait lui-même un pansement au doigt, comme si c'était vraiment le moment de le faire, devant une patiente. Ça prend 5 bonnes minutes durant lesquelles il m'explique que les fabricants de pansements sont des cons puisque le sachet est difficile à ouvrir. Puis il met 10 plombes à comprendre la lettre que je lui tends. Il me demande si j'ai mon carnet de vaccination. Eh merde, je l'ai pas. Il me regarde avec un sourire en coin et me dit :
"- ah... bon t'es à jour dans tes vaccins?
- Oui, normalement..."

Pourquoi il me tutoie? J'en sais rien, il passera le reste de la consultation à me vouvoyer quand il parle de mon boulot et à ma tutoyer le reste du temps. C'est tellement déplacé, je suis tellement mal à l'aise... J'ai envie de m'enfuir. Je ne le fais pas, sans savoir exactement pourquoi, mais je reste.

Il me demande de m'assoir sur la table d'auscultation, avant d'y aller je jette mon chewing-gum. Il en profite pour me dire "t'inquiète pas, ça va aller". Je me crispe, pourquoi est-ce que selon lui je devrais être inquiète? Pourquoi ce tutoiement? Mon radar interne est activé au niveau maximal, relève toutes les informations et tente de les analyser.
Il me prend la tension avec un appareil automatique. Il me le met au bras non sans difficulté puis le lance. Il me dit "t'inquiète, ne bouge pas et ne dis rien", je ne comprends pas pourquoi il me dit ça, mais j'obéis. Une voix dans ma tête continue de dire "au moindre geste déplacé réagis !". Sauf que tout est déplacé et que je ne sais plus très bien où est le curseur et quand il faut que je déclenche l'alarme. Il écoute mon cœur pendant que le tensiomètre fait le travail. Heureusement il ne me demande pas de lever mon T-shirt, je ne sais pas si j'aurai eu le courage de refuser et je n'avais clairement pas envie de me déshabiller devant lui. 
Il part s'assoir à son bureau sans rien me dire. Je lui demande si je peux enlever le tensiomètre, il me dit "non". La machine sonne, il me demande ce qu'elle indique. J'en sais rien, je comprends que dalle à l'affichage. Il revient à coté de moi, pose sa main sur mon épaule et me dit :
"- Ça n'a pas fonctionné, t'as fait une connerie."
Je lui répond que je n'ai rien touché, ça commence à vraiment m'énerver. Sa main sur mon épaule, sa condescendance et sa manière de m'accuser du dysfonctionnement alors que c'est son boulot, pas le mien. Il remet l'appareil en marche, repart à son bureau. Je ne bouge pas, je ne dis rien. Il répond à un coup de téléphone, je n'entends pas, j'ai l'esprit ailleurs. Mon cerveau bouillonne, j'ai peur, je suis en colère, je suis énervée. Je veux que cette consultation se termine vite.
L'appareil affiche 13.1 de tension, j'ai envie de lui dire pour pouvoir arracher le truc de mon bras mais il est encore au téléphone. Il raccroche, s'approche de moi, me met de nouveau une main sur l'épaule, regarde l'affichage et me dit "c'est bon, t'es apte".

De longues minutes à le regarder rédiger le certificat d'aptitude. Il me redemande si je suis à jour dans mes vaccins, je réponds d'un oui ferme. Je ne veux surtout pas qu'il me demande de revenir avec mon carnet. Il me tend le papier, me laisse poireauter encore un peu et me dit "c'est bon tu peux y aller". J'hésite à lui serrer la main mais il me tend la sienne, je n'ose pas refuser, il me dit : "Au revoir Arielle". Il dit d'autres choses aussi je crois mais je n'entends pas, je suis pressée de sortir, je me dépêche. Quand j'arrive enfin dans ma voiture j'envoie un message à ma sœur "c'est un malade, j'ai eu peur de me faire violer" et je rentre chez moi. L'amusement que j'avais ressenti en entendant la musique dans la salle d'attente me semble bien loin.



Tout le trajet du retour je me suis demandé si je devais écrire tout ça ou non. J'ai eu envie de le faire tout de suite mais j'ai eu aussi peur des réactions. Pourquoi? Parce que ce mec n'a rien fait d'illégal, il n'a rien fait de répréhensible. Il a "juste" surfé sur son pouvoir de médecin face à une jeune femme. Mais "juste" ça c'est déjà beaucoup trop. C'est déjà trop grave pour être tu. S'il se permet ça avec moi, alors qu'il ne me connait pas, je n'ose pas imaginer ce qu'il se permet avec des patients qu'il connait bien et dont il sait qu'ils ne moufteront pas, parce que sa position de médecin lui offre une présomption de supériorité morale sur les autres.
Martin Winckler dit souvent que le médecin doit toujours avoir conscience qu'il est l'égal du patient et qu'il doit toujours être vigilent à adopter un comportement qui soit adapté et respectueux. Ce que j'ai vécu là est l'inverse opposé. 
Mon témoignage est une goute d'eau, mais j'ai décidé qu'il ne devait pas rester sous silence. Même si c'est difficile d'écrire, que j'ai un peu la gorge serrée et que je ne me sens pas vraiment légitime à le faire. 
Ça s'est passé il y a à peine une heure et je suis toujours énervée et choquée. Mon cœur se serre un peu en écrivant. J'ai l'impression de ne pas avoir été à la hauteur, j'ai le sentiment que j'aurai dû dire à ce médecin que son comportement était déplacé. Mais je n'ai pas réussi. Si j'étais quelqu'un d'autre je me dirais "ce n'est pas à toi de savoir comment réagir, c'est aux gens qui agissent mal d'arrêter de le faire". Alors je vais essayer de me le dire et de m'écouter. Il y a une petite voix en moi qui dit quand même que je devrais savoir mieux réagir, je sais qu'elle se trompe sûrement, mais j'ai du mal à la faire taire complètement.
Si je témoigne jusqu'à la façon dont je culpabilise c'est aussi pour dire à toutes celles et tous ceux qui ont un jour vécu quelque chose de similaire : "vous n'êtes pas seuls, d'autres aussi ont vécu ça, eux aussi se sont sentis coupables, eux aussi se sont sentis mal, c'est normal. Mais soyez gentils avec vous-mêmes, pardonnez-vous et apprenez a voir que le vrai coupable est toujours celui qui à mal agit, pas celui qui en est victime."

Prenez soin de vous.

Avec tout mon amour, 

Ari

Commentaires

  1. La plupart des médecins ne se traitent pas à égal avec le patients, dix ans que je les vois et revois des anciens des nouveaux et il y a toujours cette initiative de démontrer une supériorité allant d'un simple rictus à de la condescendance appuyé. Et malheureusement les généraliste n'y échappent pas. Bon article et bon week-end à toi.

    Tony

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    1. Il y a aussi d'excellents médecins, j'en ai croisé beaucoup... malheureusement les mauvais nous marquent souvent beaucoup plus...
      Merci, bon dimanche (désolée je n'ai vu ton message que ce soir !)

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