Trois notes sur un piano. Trois mots sur un clavier. Le silence est assourdissant. La nuit éblouissante.

Nous sommes début février. Pourtant il fait chaud, une chaleur à la fois douce et réconfortante. Les bruits qui viennent de l'extérieur sont étouffés, on dirait qu'ils se heurtent tous à un nuage. Il semble qu’ils n'osent pas vraiment s'exprimer. La lumière hésite elle aussi à exister pleinement, je ne vois d'elle que ce qu'elle a de plus chaleureux. L'ambiance est celle d'une journée brûlante du mois de juillet, juste avant que le tonnerre ne retentisse. Le temps s'écoule au ralenti, les mouvements sont lourds, comme si la gravité avait perdu de sa superbe.
Pourtant, dehors la vie bat son plein. Je le sais, je le ressens. Même si la lumière est tamisée et que les bruits sont atténués, je sais bien que le monde autour s'agite. Je discerne des peines plus saillantes qu'une lame aiguisée, des joies plus éclatantes que le soleil au zénith. C'est l'agitation qui joue son plus bel acte, c'est l’orchestre qui ne forme plus qu'un. C'est l'instant fébrile juste avant l'ovation, ce moment suspendu où chacun retient son souffle dans une effervescence silencieuse. C'est la moiteur qui envahi les poumons, la seconde avant que l'orage n'éclate.
Il y a aussi les gens qui marchent d'un pas rapide, énervés par le temps perdus. Puis il y a ceux traînent, savourant pleinement le plaisir de perdre du temps, de le regarder filer. Dégustant le bonheur de savoir qu'il ne leur appartient déjà plus, qu'il est perdu à tout jamais mais qu'il a existé et qu'ils en ont apprécié chaque instant sans jamais le gâcher. Car il faut être libre pour perdre sciemment son temps.

Il se passe quelque chose de décisif. C'est certainement le moment le plus important de ma vie mais je ne le comprends pas. Les minutes semblent durer des heures alors même que les heures donnent l'impression de ne durer qu'une minute. Je perçois une agitation sans la ressentir, je discerne la lumière sans la voir, je distingue le bruit sans l'entendre. Je vis, mais je n'existe pas encore.
D'un instant à l'autre tout va basculer, l'agitation va m'envahir, la lumière m'éblouir, le bruit m'assourdir. La frontière temporelle qui me sépare de mon existence est insaisissable, elle est engloutie par un océan d'émotions, un flot d'agitations. Cet instant incertain porte tout de même un nom, pour donner l'illusion à ceux qui l'emploient qu'ils contrôlent le temps. Cette seconde effervescente, cette brusque ascendance de l'existence, cet instant où tout bascule, porte le doux nom de naissance.

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