Manchester, 22 mai 2017

Au départ je n'ai pas bien compris de quoi il s'agissait. C'est la première information que j'ai lu sur mon téléphone en me réveillant, je n'ai pas compris grand chose, à part "explosion", "morts", "blessés graves". Comme chaque fois j'ai préféré commencer par le déni, par minimiser, par penser que ça n'était pas possible, c'était un accident. J'ai ouvert le journal sur mon téléphone. Là pas d'erreur possible. Ariana Grande, idole des enfants. Des gosses putain, ils s'attaquent à des gosses qui s'amusent. Mais qui sont ces hommes qui tuent des enfants insouciants?

J'ai mal. A la radio ils ont passé un extrait sonore de l'explosion, les gamins crient, on sent la panique. Il est 7h30, je pleure sous ma douche. Des enfants. Je n'ai pas envie de croire qu'on puisse s'attaquer à des enfants. Je n'ai pas envie d'entendre qu'on puisse délibérément faire voler en éclats les rires d'ados, moi qui les aime tant ces rires. Moi qui aime tant cette fougue qu'on a à 13 ans, cette capacité à la passion, à l'amour fou et déraisonné, cette absence de demie mesure. J'admire les ados pour ça, pour l'absence gradation dans l'amour et la détestation. Tout à deux mille pour-cent. Tout ou rien. Je les regarde, un sourire tendre sur les lèvres, un peu moqueur parfois je dois l'avouer, mais toujours bienveillant. Ils sont tellement vifs, tellement drôles, tellement à fleur de peau, tellement rajeunissants et revigorants. Je ne peux pas croire qu'on ai envie de tuer des gosses... Ils sont la vie, ils sont l'avenir, alors quoi? Alors on nie jusqu'à la beauté de la jeunesse et la vie?


Au nom de quoi un nihilisme tel peut imprégner des cœurs et des esprits? Ceux-là n'ont-il jamais entendu le rire d'un enfant qui s'amuse? C'est impossible. Ils n'ont jamais croisé le regard pétillant d'un adolescent insolent qui nous dit, à nous adulte, "peut-être toi as tu oublié de t'indigner, d'aimer sans limite, de te révolter avec vigueur, peut-être crois-tu que l'âge finira par m'adoucir, mais moi je sais que cette flamme vivra toujours en moi". Peu importe que la flamme un jour soit moins vigoureuse, peu importe que l'adolescent un jour devienne un adulte comme les autres. Ce qui importe, c'est qu'il y croit, qu'il ne doute pas, qu'il nous rende jaloux avec ses certitudes que nous n'avons pas su garder dans nos cœurs. Ce qui importe c'est que l'adolescence, de génération en génération, nous rafraichisse, nous bouscule, nous offre des certitudes là où nous ne sommes que doutes. Parce qu'ils sont l'avenir et ils le savent, alors ils veulent prendre en main les choses, et nous prendre des mains nos vieilles habitudes, afin d'inventer le futur. J'aime les voir faire ça, j'aime tant ça. Ils nous évitent la rouille et ils se font de la place.

Hier soir, ils dansaient et chantaient, ils riaient certainement. Certains ont peut-être trempé leurs lèvres dans une bière pour la toute première fois, à l'insu de leurs parents, c'était un peu effrayant, mais c'était tellement excitant. Un affranchissement face aux adultes, une façon de prendre son indépendance, un tout petit peu, sans se faire attraper, espère-t-on. Hier soir, ils étaient plein de vie et de joie. Ce matin, certains ont perdu la vie.

Je ne comprendrais jamais que le monde ne tourne pas autour de ses enfants, qu'il ne fasse pas de cet avenir sa seule et unique priorité. Alors imaginez le sentiment d'impuissance et d'incompréhension qui s'est emparé de moi, ce mardi matin sous la douche, à essayer de noyer des larmes que je ne pouvais pas retenir.

Commentaires

  1. Quand un enfant tombe c'est une part de notre humanité qui tombe avec
    Pas Cal

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Malheureusement certains ne semblent pas le voir...

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés