Papy

Hubert - 1958

Comme une réflexe de survie, j'écris. J'écris ici, à la vue de tous en espérant que toi tu entendras mes mots.

Chaque fois que je parle de toi et de la situation que nous traversons, on me demande ton âge. Et lorsque je le prononce, quatre-vingt ans, je vois sur les visages comme une confirmation : être en fin de vie à cet âge, rien d'étonnant. Et s'il y a une part de vrai, ce que je lis entre les lignes de ces regards, c'est que ma peine, en conséquence devrait être moindre.

Parfois, j'ai envie de hurler sur les gens. De leur dire que l'amour n'a pas d'âge et que l'idée de te perdre n'est pas moins terrifiante parce que tu as eu "une belle vie".
Ils ne savent pas.

Il ne savent pas que tu as toujours été un repère et un modèle, que tu influences celle que je suis, que tu es un soutien indéfectible, un de mes plus grands supporters, une de mes plus belles inspirations.
J'ai réellement compris ces derniers mois tout ce que tu pensais de moi, profondément, toute la confiance que tu as placé en moi, l'avenir que tu projettes. Parce qu'on se ressemble.

Les injustices nous font exploser de colère, l'humour est le moyen de communication que nous maîtrisons le mieux, la provocation notre meilleure arme contre les idiots.
Je te ressemble sans être toi, c'est ça qui fait de notre relation un précieux trésor.
Cinquante deux ans nous séparent et pourtant nous nourrissons une relation d'une solidité incroyable. Les disputes ne sont pas rares mais elles sont toujours accompagnées de cette certitude : si haut monte le ton, l'amour n'en pâti jamais.
Cinquante deux ans nous séparent et pourtant nous avons une complicité qui n'appartient qu'à nous deux, un seul regard et nos yeux pétillent car nous savons ce que l'autre veut dire, nous entendons la blague avant qu'elle ne soit dite, nous détectons le souhait de l'autre de voir une réaction à une provocation.
Combien de fois je n'ai répondu à tes provocations que par un regard brillant, combien de fois as tu ris en me voyant faire, combien de fois as tu alors pensé, sans me le dire, "merde, ça tombe a coté, elle ne se laisse pas avoir, je vais chercher quelque chose d'autre, parce qu'elle est belle quand elle s'énerve, je suis fier quand elle s'énerve parce que je sais qu'elle ne s'écrasera pas et qu'elle est armée pour la vie". Tu n'as jamais dit ces mots comme je les retranscris ici, mais tu les as pensé si fort que tes yeux me les ont raconté.
Cinquante deux ans nous séparent et pourtant, un monde sans toi me semble inconcevablement morne.

J'ai déjà raconté mille fois qui tu étais, cet homme à la voix rauque et au débit mesuré, celui qui sait captiver son public, celui qu'on va voir pour entendre des histoires d'hommes politiques qui "refoulent du goulot", de profs nuls, de hiérarchie qu'on défie, d'enquêtes dignes d'un polar pour savoir qui a saccagé les toilettes du collège.
Tu es celui qu'on veut près de soi pour la force qu'il donne à ceux qu'il aime, pour sa faculté à vous faire prendre confiance en vos capacités, pour entendre un "cool cool" avant une épreuve stressante et pour ce rire... Ton rire... merde, je l'aime à en pleurer.

J'ai une chance incommensurable d'avoir un grand-père comme toi, d'avoir quelqu'un d'aussi aimant, d'avoir le bonheur de pouvoir dire "je suis aimée par une personne si forte qu'elle m'a donné le courage de traverser toutes les tempêtes".

Merci Papy de nous permettre d'être, à nous tous, presque aussi forts et généreux que toi.

Ta Mam'zelle Zouzou qui t'aime.

 

Commentaires

  1. L'âge n'est pas une excuse à la fin de l'amour, l'exemple en est celui que tu portes à ton grand père.
    J'ai de la chance, je touche du bois, d'avoir tous mes grands parents encore en vie, mais quel drame cela sera le jour où ils mourront, les uns après les autres. Rien que d'y penser je m'en retrouve mal.
    Ta relation avec ton grand père me fait penser un peu à celle que j'ai avec mon "grand père". En réalité, nous ne sommes pas liés par le sang, mais il n'empêche que je me sens bien plus proche de lui que de mon autre grand père, avec qui pourtant nous avons de l'ADN en commun. Le premier est aimant, généreux, blagueur et attentionné, tout en étant un peu bourru, parfois un peu à côté de la plaque voir plus que limite dans ses propos, mais toujours ouvert et attentif. Je me souviendrai longtemps de cette fois où, alors que nous nous servions notre Xième verre d'eau de vie, il m'a confié que son plus grand regret, ça aura été de ne pas avoir eu d'enfants "de lui", même s'il aime ma mère comme sa fille, ça n'est pas la même chose.
    Ça m'a brisé le coeur de voir ce gaillard de près de 70 ans tout fébrile, et puis le naturel est revenu, il n'en a plus parlé.

    Je serai un enfant en larmes, le jour où l'un d'entre eux décédera.

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    1. Évidemment, mais socialement c'est parfois mal entendu que la fatalité ne fait pas la peine moins grande. J'ai peur de le perdre parce qu'il est un pilier dans ma vie, il vivrait jusqu'à 110 ans que la peine sera la même...
      J'ai adoré ce moment où j'ai découvert mon grand-père en tant que personne après des années à ne le connaitre que comme un papy.

      Longue vie à tes grands-parents !

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