Comment on fait un bébé ? #22 L'absence




Octobre 2022


Parfois je vois le lien et parfois c’est le gouffre.

Mes enfants ne connaîtront jamais leur grand-mère. Ma mère ne connaîtra jamais ses petits-enfants.


J’imagine ce qu’elle aurait pu transmettre. Le rire, la légèreté, cette manière de ne pas s’encombrer de tout un tas de choses. Je sais aussi que la maladie aurait été une barrière, mais quand les gens meurent on a tendance à penser à ce qu’on manque et non ce qu’on s’évite. Je pense à ce que je manque de ma mère, à ce que mon bébé ne connaîtra pas alors que j’aurai voulu que ce soit le cas. Je ne pense pas à ce qui aurait été dur, ce dont il aurait fallu le préserver parce que tout ça ne fait pas le poids face au gouffre du manque. Cet enfant dira de sa grand-mère ce que j’en dirai, cet enfant saura de sa grand-mère ce que je saurai lui dire. Rien de plus, ou si peu.


Iel n’aura pas la chance de se faire son propre avis et de surmonter ou non les murs que je n’ai jamais su surmonter. Iel n’aura pas la chance de penser d’elle autre chose que ce que moi j’en pense.


Les enfants font des ponts entre les adultes, là où parfois ils n’ont pas su le faire. Parce que les enfants regardent avec des yeux nouveaux.


Aucun œil nouveau ne se posera sur ma mère. Mon enfant n’aura pas la possibilité de choisir de lui-même ce qu’iel pense pense d’elle. C’est ça que je vois ça aujourd’hui. C’est ça qui me donne envie de pleurer.


Demain, c’est le jour des morts et la mort se montre à moi telle qu’elle est, irrémédiable, statique, figée. Parfois je vois le lien qu’on crée malgré la mort, aujourd’hui je vois tout ce qu’on perd.


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