Le féminisme et la question des masculinités : pourquoi les hommes gardent le silence ?

Mollat, plus grande librairie indépendante de France a un rayon spécialisé sur le genre et un autre sur le féminisme. Étant particulièrement intéressée par ces sujets, j'ai voulu voir si un rayon consacré aux masculinités existait.
Pas de suspens, la réponse est non.

"Ils aiment parler des femmes, les hommes. Ça leur évite de parler d'eux. Comment explique-t-on qu'en trente ans aucun homme n'a produit le moindre texte novateur concernant la masculinité? Eux qui sont si bavard et si compétents quand il s'agit de pérorer sur les femme, pourquoi ce silence sur ce qui les concerne?"
(Virginie Despentes, King Kong Théorie 2007)


Comment est-il possible que 11 ans plus tard, il n'existe toujours pas prise en main de ces questions par les hommes? Comment se fait-il que les quelques ouvrages/podcasts sur le sujet soient l’œuvre de femmes? Comment se fait-il que les hommes ne s'intéressent pas eux-même à leur place dans une société qui, n'en déplaisent à certains, fait évoluer rapidement, parfois brutalement les rôles genrés? 
Ce qui interpelle plus particulièrement, c'est le discours des quelques hommes qui s'expriment à ce sujet. Ils sont généralement de deux types :
  • La victimisation, qui tend à inverser les rôles et à vouloir laisser croire que le féminisme conduit à en faire des victimes.
    Face à des accusations de viol on peut par exemple entendre qu'on "ne peut plus rien faire" et "qu'il faudra bientôt signer un contrat avant l'acte sexuel" (ça fait 15 ans que j'entends ce genre d'absurdités, alors calmos les machos, le contrat c'est pas pour demain). En dehors du fait que ça en devient risible du fait de la disproportion entre les oppressions avancées, c'est occulter totalement le fonctionnement d'un système de domination masculine perpétuée et acceptée depuis la nuit des temps qui ne laisse que très peu de place à la réalisation d'une domination des femmes sur les hommes.
    A ce sujet vous pouvez vous intéresser aux sociétés matriarcales qui ne correspondent jamais réellement à la définition d'un système de domination et qui, presque systématiquement, garde des stigmates patriarcaux. Sans oublier de souligner l'extrême rareté de ces sociétés dans le monde et dans l'Histoire.
  • Le profil bas, qui consiste soit à compatir mais sans jamais parler de sa propre place et de son propre ressenti, soit à expliquer qu'on ne souhaite pas s'exprimer car la parole va aux femmes sur le sujet.
    Si je suis d'accord avec l'idée qu'effectivement il ne revient pas aux hommes d'expliquer les oppressions, agressions et violences faites aux femmes, surtout pas si c'est pour mansplainer*, je ne comprends pas pourquoi les hommes ne se saisissent pas de ces sujets pour redéfinir leur place dans la société, pour parler des pressions qu'ils subissent dans le diktat de la virilité, des conséquences qu'elles peuvent avoir sur eux.
Les femmes et les hommes évoluent ensemble dans un système qui leur a servi des rôles tout cuits, ce qui est source de pressions sur les uns et les autres, tant il n'est jamais question de ce qu'on est mais de ce qu'on devrait être en tant que femme ou en tant qu'homme. Nos comportements sont adaptés, analysés, jugés et critiqués non pas en fonction d'un système de valeur égalitaire mais d'un prisme genré qui voudrait les femmes douces et délicates et les hommes forts et puissants. 
Alors la femme puissante est une incongruité, la distorsion entre ce qu'on attend d'elle et ce qu'elle est réellement produit souvent de violentes réactions. Une femme qui n'existe pas pour être belle, mais pour conquérir ne sera jamais acceptée en tant que femme, elle restera au yeux d'une majorité un hybride, parfois sous-femme, parfois homme-manqué.
Qu'en est-il de l'homme délicat? Il n'a pas voix au chapitre. Il n'est qu'un demi-homme qui ne pourra jamais accomplir ce qu'on attend de tout homme digne de ce nom : conquérir les femmes, l'argent, la gloire. 

Notons que le fait de ne pas répondre aux critères communément admis de la virilité et de la féminité ne donne jamais le droit d'accéder au statut de l'autre cercle. Une femme ayant des attitudes jugées masculinisantes n'est plus vraiment une femme mais pas vraiment un homme non plus. Le terme de garçon-manqué est assez révélateur en ce que l'on ne sait pas vraiment s'il désigne une femme qui a manqué d'être un homme ou un homme incomplet. Il en va de même pour un homme efféminé qui sera volontiers qualifié de "femmelette", afin de souligner cette imperfection qui le conduit à la frontière entre les genres sans avoir jamais accès à un statut à part entière dans l'un des deux.


Alors, dans un système dans lequel la domination des hommes sur les femmes reste une réalité, le féminisme permet de dévoiler une autre réalité : les hommes répondant le mieux aux standards virilistes exercent une domination sur les autres hommes. Ainsi, la domination qui s'exerce en premier lieu par les hommes sur les femmes, intervient ensuite par les hommes entre eux. Les jeux violents entre hommes qui sont monnaie courante sont une expression de ces rapports dominateurs.
Après plusieurs semaines à me documenter sur le sujet je peux affirmer une chose : les critères de virilité sont d'une exigence incroyablement oppressante :
  • Taille du sexe ;
  • Capacité à la violence (qui doit cependant être maitrisée pour ne pas passer du statut d'homme à celui d'animal) ;
  • Interdiction formelle d'exprimer ses sentiments et de leur laisser une place ;
  • Capacité à supporter la douleur, les humiliations, la violence ;
  • Capacité de séduction, puissance sexuelle ;
  • ...
Alors pourquoi les hommes ne profitent-ils pas de cette ouverture pour eux aussi remettre en question les diktat qui s'appliquent à eux ? Pourquoi ce sont des femmes qui, les premières, abordent ces questions ? Certes, le féminisme appelle à cette réflexion en remettant en cause les rôles prédéfinis et le féminisme est majoritairement issus d'une réflexion féminine, mais est-ce suffisant pour expliquer le désintérêt quasi total des hommes sur un sujet qui pourtant les concerne directement ?
Si vous avez des idées de réponses à ces questionnements, je serais très intéressée de les entendre. Car le féminisme n'avancera pas sans les hommes, sans une réflexion collective sur les normes établies, sans la compréhension de chacun et sans la prise en compte de ce qui fait que nous répétons inlassablement la même pièce depuis toujours, en modifiant légèrement les lignes à chaque représentation.
Le combat féministe, ce n'est pas de donner le rôle qu'on toujours eu les hommes aux femmes, le combat féminisme cherche à changer de Pièce, changer de metteur en scène et d'inviter chacun à choisir le costume dans lequel il se sent le mieux.


"Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes marketing, pas une vague promotion de la fellation ou de l'échangisme, il n'est pas seulement question d'améliorer les salaires d'appoint. Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, pour les autres. Une révolution, bien en marche. Une vision du monde, un choix. Il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l'air."


*Mansplaining : le mansplaining est une notion que les féministes américaines ont développée pour désigner une situation où un homme (en anglais « man ») explique (en anglais « explain ») à une femme quelque chose qu'elle sait déjà, sur un ton généralement paternaliste ou condescendant. (Source : Wikipédia
 

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