Miroir grossissant

Comment tu l’expliques toi que je me trouves grosse, que malgré tout les signes objectifs de démentis je n’arrive pas à voir les choses autrement ? Comment t’expliques que le moindre essayage de jean c’est un stress pour moi, que j’ai la hantise d’essayer un vêtement dans lequel je ne rentrerai pas, comme si le vêtement prononçait un jugement irrévocable de ce que je suis ? Comment, à la veille de ses 29 ans on ne réussi pas à s’en foutre totalement ? Parce que quand bien même je serais grosse, est-ce que ce serait grave ? 
L’idée de juger le poids des autres, de jauger leur valeur au chiffre de leur balance ne me frôlerait même pas l’esprit. Alors pourquoi je le fais avec moi ?
 
 
La question de la distorsion de ma propre image est une rengaine sur mon compte Instagram, puisque c’est le seul lieu où je me sens autorisée à le faire.
 
J’ai jamais eu le droit, socialement, d’exprimer mes complexes, parce que quand t’es grande et mince on les balaye d’un revers de la main avec "ah bah si toi t’es grosse, tout le monde l’est" "et moi dans ce cas je suis obèse". 
T’as pas le droit d’avoir des complexes parce que t’es sensée être satisfaite de rentrer à peu près dans la norme, et puis si t’es mal dans ton corps tu deviens un peu une insulte pour toutes celles qui mangent de la salade le midi en rêvant du 34, et faut vraiment que t'arrête parce que là, ça se voit que tu cherches à te faire remarquer et complimenter. Parce que toi t’as de la chance, t’es née comme ça, donc laisse les gens penser que ça suffit à être heureuse et casse pas les rêves des autres. Merci, tu seras gentille.
 
Mais en fait j’ai le droit de ne pas être satisfaite et puis j’ai pas envie d’alimenter l’illusion. J'ai le droit d'être rassurée sur ce que je suis, j'ai le droit de me servir de mon compte Instagram pour me recevoir des compliments que j'ai pas l'impression de mériter. J'ai le droit parce que je ne fais de mal à personne en le faisant, parce que j'ai pas reçu les codes pour la confiance en soi indestructible et qu'on m'a bien enseigner qu'en tant que femme j'avais plutôt intérêt à être jolie si j'ai envie qu'on m'aime.
 
J’ai pris 21 photos avant de poster celle-ci. J’ai rentré le ventre, sorti la poitrine. J’ai essayé de face, de profil, en selfie. J’ai changé de spot pour voir si la lumière pouvait arranger les choses. J’ai mis un filtre. J’ai eu un moment où je m’en suis voulue de ne pas rendre assez bien sur les clichés.
 
Tout ça pour un réseau social. Tout ça pour rien. Ou presque rien. Parce que j’avance aussi sur mon rapport à mon image grâce à ça. Même si ça fait pas tout et que parfois ça fait revenir quelques pas en arrière, j'ai mis des mots sur ce qui me conduit à publier des photos de moi et de les livrer à des gens que je ne connais pas. Ca change tout de donner du sens à ce qu'on fait, ça change tout de se dire "ok, je fais ça parce que ça me rassure de voir que je plais, mais c'est pas une fin en soi de plaire, alors pas de pression".
 
Instagram c’est un endroit où des gens beaux et riches essayent de nous faire croire que ça rend heureux, que leurs photos sont spontanées, qu’ils mangent des beignets tous les jours mais qu’ils sont toujours sveltes et musclés, que 2h de sport par jour avec un taff et une vie de famille c’est pas de la schizophrénie et que manger uniquement des graines ça rend pas taré. 
Ces gens mentent.
Je mens aussi.
Et en vrai c’est pas grave, parce que dans la vie on fait bien comme on peut et si mentir ça vous fait du bien je peux pas vous juger.
 
Mais n’oubliez pas qu’on est nombreux à vouloir se montrer plus beaux et heureux qu’on ne l’est alors que finalement on est plus beaux et heureux que ce qu’on ne veut bien admettre.

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