2009

On s’inventait des vies, des pouvoirs et des prénoms et on le faisait si bien que ça devenait vrai. On a mis des clémentines sous notre t-shirt en étant persuadées que ça nous ferait gagner 4/5 ans aux yeux des autres. On riait à des blagues pas drôles qu’on inventait nous mêmes. On riait pas pour la blague mais à cause de l’énergie qu’il y avait quand on était dans la même pièce.

Quand on décrochait le téléphone le dimanche c’était pas pour savoir si on se voyait c’était pour savoir où, même qu’une fois on s’est pas comprise et on s’est chacune attendue chez nous et qu’à 14h30 passé quand on s’en est aperçues j’étais affolée parce qu’on avait perdu plus de 30 minutes de jeu sur le programme du dimanche.

On a semé le trouble dans la tête d’un garçon à qui les parents avaient raconté n’importe quoi sur la reproduction. On a manigancé pour que ta mère et mon père se mettent ensemble et devenir officiellement sœurs, mais on a vite lâché notre carrière d’entremetteuses. On a haï des gens qui avaient une glace parce qu’on en avait pas, puis quand on a réussi à s’en faire acheter une on les a nargué. 

On a rit.

Qu’est ce qu’on a rit putain. J’ai jamais rencontré personne d’autre avec qui j’ai cette facilité de transformer absolument tout en rire. Jamais. 
Un jour on s’est disputé fort, on se parlait plus. Mais on a pas résisté longtemps, on a dû se faire la gueule à 3 cours de poney puis, sans le vouloir, on a rit une heure entière, on a rit parce qu'on faisait semblant de pas savoir compter. C'était vraiment pas les blagues qui étaient drôle, c'était l'énergie qu'on échangeait. On n'avait besoin de rien pour créer quelque chose de drôles.

Après on a grandit, on s’est un peu perdues mais chaque fois il y avait la magie qui opérait. Chaque putain de fois.
Je me souviens qu’à la journée d’appel j’ai failli te poser des questions sur ce qui t’était arrivé quelques mois avant. On s’est regardées droit dans les yeux juste avant que je parle, t’as su ce que j’allais dire et tu m’as demandé de pas le faire, juste avec un regard. Alors j’ai rien dit parce qu’on avait toujours respecté ça entre nous. Le droit de dire ce qu’on veut des merdes qui traversaient nos vies. Et surtout le droit de ne rien dire, de ne pas se justifier, de dire "cache-toi" en pleine rue pour éviter quelqu’un sans avoir à répondre à des questions ensuite. On a donc repris les rires.

J’oublie pas non plus la dernière fois qu’on s’est croisées par hasard, que tu m’as sauté dans les bras tellement t’étais contente de me voir. On a rit encore. J’ai toujours cru que nos routes ne se sépareraient jamais vraiment, qu’il y aurait toujours un carrefour où je te verrai pour rire un bon coup. J’aurai jamais imaginé que ma vie pourrait se faire sans toi.

Pourtant t’es plus là. Je digère toujours pas d’avoir raté à ce point mon rôle d’amie. J’ai perdu mon alter ego il y a 10 ans, j’ai perdu l’une des personnes les plus marquantes de mon existence. Je ne serais pas celle que je suis aujourd’hui si je n’avais pas croisé ton chemin. Il est des douleurs qui se transforment sans jamais disparaître complètement. J’ai toujours en moi une cicatrice qui me rappelle que t’es plus là et je déteste ça.



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