Encre et plis



Finalement, je l’aime bien ce corps, même quand je remarque ses plis, même quand j’y vois des vergetures.
Parce qu’au bout du compte, il me fait marcher, avancer, jouir, manger, respirer, courir, savourer, toucher, sentir. Finalement, je l’aime bien aussi parce que c’est lui qui me porte, parfois bien plus loin que ce que je pourrais imaginer.

Alors non, je n’ai pas eu le choix, je l’ai pris tel qu’on me l’a donné. J’y ai quand même ajouté des piercings, des tatouages et quelques cicatrices. Je le grime de temps en temps à coup de liner, de mascara et de rouge à lèvres. Je l’ai parfois volontairement fait souffrir, je l’ai affamé, puis gavé, je l’ai négligé et détesté. 
Mais finalement, je l’aime bien ce corps.
Pour ce qu’il est, pour ses grandes jambes qui courent et ses yeux noisettes qui tirent sur un vert profond quand il fait soleil. Pour ses dents du bonheur qui le rendent singulier. Pour ses muscles qui traduisent une puissance parfois inattendue.
Je l’aime pour son cœur qui bat fort juste avant un premier baiser, son souffle qui s’emballe pendant l’orgasme. Je l’aime pour les tendres baisers et les rires qui font mal au ventre. Je l’aime même pour ses litres de larmes et sa capacité à gérer la douleur.

Je l’aime parce que quand je le regarde, sans vêtement, je le trouve simple. Je le sexualise rarement. 90% du temps au moins, il n’est qu’un corps qui me sert à vivre et faire des choses. Lui et moi on sait bien ce que la société projette sur les corps comme lui, les corps de femmes, qui sont perçus avant tout comme des objets de désirs. Alors oui parfois on en joue, parfois on s’en amuse. Oui. Mais souvent on a juste envie qu’on nous foute la paix.
Comme avec cette photo.
Je sais très bien ce qu’on va y projeter, alors que moi c’est pas ce que j’y vois et que j’aimerai vraiment qu’on vienne pas m’emmerder avec les projections des autres. Juste une fois, pour voir ce que ça fait d'avoir un corps qui n'a d'autre ambition que de jouer son rôle de corps.

Mes projections sur mon corps ne le sexualisent quasiment jamais, ce que je vois moi sur cette photo c’est : de la peau sur laquelle on a tracé quelques dessins, des plis qui ont un peu fondu ces dernières semaines, des grains de beautés qui font des apparitions régulières un peu partout, un peu par hasard, venant ainsi joliment consteller tantôt un bras, tantôt une joue, un dos, une main.
J’y vois aussi la peau parcheminée et chiffonnée sur ma hanche, témoignant de son craquellement il y a de ça plusieurs années, quand le bassin s’est préparé pour pouvoir peut-être un jour donner la vie.

J’y vois seulement mon corps, avec tout ce qu’il a d’abimé et de poétique, avec l’histoire que je ne partage qu’avec lui, avec nos secrets à nous. Ses zones sensibles, mes plaisirs inavoués, les douleurs chroniques, les cicatrices majestueuses.
Ce n’est pas l’amour linéaire et permanent entre lui et moi, mais il n’en reste pas moins que j’y travaille chaque jour, car sans lui je ne pourrais ni rire, ni pleurer, je ne pourrais ni hurler des insultes, ni chuchoter des mots d’amour, ni me battre avec la vie, ni embrasser les jolis moments.

Alors je fais de mon mieux pour l’aimer et me souvenir que ce qui fait sa profonde beauté c’est qu’il me permet d’être debout chaque matin, de me porter partout où les aventures me mènent. Il est mon interface vers le monde et les autres, et rien que pour ça je me dois de le chérir jusqu’à mon dernier souffle.

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