Sensations fortes - Vietnam le 18 septembre 2018

J’ai terriblement confiance en la vie. C’est comme si toujours et de tous temps, les choses s’agencent exactement de la manière dont tu as besoin, si seulement tu à la patience de regarder la vie faire son œuvre.


Je passe les meilleurs jours du voyage ici, comme toujours last but not least.

Mon anglais est sûrement meilleur, en tous cas il devient plus facile pour moi, j’appréhende le pays plus facilement et il y a certainement ce sentiment d’urgence qui me pousse à savourer chaque seconde.

Je ne sais pas vraiment, mais c’est comme si les étoiles s’alignaient pour me dire « tu as vécu de jolies choses, mais demande encore plus car tu peux l’avoir ». J’ai rencontré des gens merveilleux ces derniers jours et ce soir, ça a été exactement ce qu’il me fallait. Les étoiles s’alignent toujours à l’instant précis où elles doivent le faire.

Après deux jours sur le delta du Mékong et dans les alentours je suis rentrée fatiguée à HCMC et je me suis fait alpaguer par ce type qui, de toute évidence, attendait quelque chose de moi que je n’avais pas envie de lui donner.




Il m’a proposé une bière et de l’attendre 5 minutes pour aller marcher avec lui. J’ai décliné. Parce qu’on finit par réellement apprendre que la gentillesse ce n’est pas de dire oui quand on a envie de dire non.

Il y a un an encore, j’aurai probablement accepté, non pas par envie mais parce que je n’aurai pas osé froisser ce type. Sauf que plus le temps passe et plus j’apprends que pour donner le meilleur aux autres il faut être capable de se préserver parfois, comme lorsqu’on ne le sent pas ou qu’on n’a pas envie.

Je pars donc me promener seule, il est 17h environ.

Une heure après je suis de retour à l’hostel. Je vois le mec de loin mais je ne le calcule pas.


Je passe une heure dans ma chambre pour recharger toutes les batteries (les miennes et celles de mon téléphone). J’ai faim, je dois booker une sortie pour demain, il est 19h, je sors du lit.


Je vais à la réception. Le gars est toujours sur ce banc, comme s’il m’attendait. Je ne lui montre pas que je l’ai vu. C’est une histoire de feeling. J’en ai croisé suffisamment comme ça pour savoir qu’il vaut mieux, parfois, laisser la porte clairement fermée. Je vais manger, je trouve un grec qui fait des pita végétariennes alors je m’assoie là.


Puis je pense au fait que demain, avant de partir pour ma visite, le déjeuner ne sera pas ouvert à l’hostel. Je n’ai pas envie d’aller sur le marché à 7h pour manger des pâtes, alors je me rends à la supérette. Seul le ciel sait pourquoi je ne m’arrête pas à la plus proche mais vais jusqu’à celle d’après.

Peut-être mon inconscient se souvient mieux que moi de ce monsieur, assis devant la boutique et qui semble affamé. Parce que la dernière fois je ne l’ai vu qu’en sortant et je ne lui ai donc rien acheté.


Cette fois-ci, j’achète quelques trucs pour lui, à boire et à manger. Je me demande ce qu’il aime et j’essaye de choisir quelque chose qui a l’air bon. Même si je ne sais pas trop ce que lui voudrait. Je prends ce que j’étais venue acheter pour moi et je ressors de la boutique après avoir payé. J’enlève mes gâteaux et je m’accroupis. J’ai appris qu’il fallait toujours se mettre physiquement à la hauteur des gens avec qui on souhaite parler, juste pour leur signifier que l’on n’est pas un danger et qu’on souhaite partager quelque chose, d’égal à égal.


Il somnole, j’essaye de le réveiller doucement en disant bonjour. Il ouvre un œil. Je lui tends le sac. Il hoche doucement de la tête. Comme pour me dire « merci » avec le peu de forces qu’il a.

Cet homme est en train de mourir. Pas de manière métaphorique, il meurt pour de vrai. De faim, de maladie, de sommeil, de tout ça à la fois. Peut-être va-t-il survivre encore des jours ou des semaines entières. Je ne sais pas. Mais je sais qu’il est en train de mourir.

Je pose doucement ma main sur son genou, j’ai envie de lui signifier quelque chose comme « tiens bon ». Mais finalement que vaut un « tiens bon » pour un mourant qui n’a d’autre perspective que de mourir le plus doucement possible, en souffrant le moins ?

Je me relève. Un raz de marée dans la gorge, les yeux, le nez.

Je ravale tout, autant que je peux, parce que je ne veux pas qu’on me console. Je ne veux pas que quelqu’un me voit pleurer et cherche à me faire aller mieux. C’est lui la victime, pas moi. Moi je suis celle qui mangera bien, sûrement jusqu’à son dernier jour, qui sera soignée dignement si elle tombe malade et qui pourra se retourner dans son lit chaud ce soir, et tous les autres soirs, et oublier ce à quoi elle a assisté aujourd’hui : la vraie misère du monde. Celle qui ne connaît ni justice, ni loi, qui frappe au hasard et sans demander pardon.

Je rentre dans l’hostel. Je vais chercher un peu de papier dans les toilettes, pour mes yeux. Puis je vais sur le rooftop.

Ça ressemble à un endroit approprié pour pleurer en silence. Face à la ville, dos aux autres.

Mais quand j’arrive, il y a Hacène, un français rencontré deux jours plus tôt, et deux autres mecs. Alors, rapidement et doucement à la fois, le monde se renverse de nouveau pour me permettre de me contenir.


Tout le monde part ce soir ou demain, à part moi. C’est ce genre de moment où l’on vit dans l’urgence de se connaître. Parce qu’on sent que de belles personnes sont ici et qu’on ne voudrait pas perdre cette jolie occasion.

J’oublie un peu le vieux monsieur pour passer à quelque chose de plus doux. La vie ne laisse que peu de place aux drames, ils sont rapidement balayés par le reste. Parce qu’elle a cette capacité incroyable à prendre toujours le dessus, parce qu’on sait tous que, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Pour le meilleur, comme pour le pire.

Je viens de passer l’une de mes meilleures soirées, sûrement l’une des plus forte. Sûrement l’une des plus riche en émotions contradictoires. Je viens de passer les deux des meilleures journées de ces 3 semaines ici. En 48h j’ai lié des connexions avec des personnes de 8 nationalités différentes. J’ai parlé français et anglais, entendu du vietnamien et de l’italien et compris des échanges en espagnol et en allemand.

J’ai serré dans mes bras plus de personnes que je ne le fais en France durant plusieurs mois, j’ai dit et répété « si tu viens en France dis le moi, je t’hébergerais » et j’ai reçu la même chose en retour. Ou bien était-ce l’inverse.

Ça n’a aucune importance.

Peut-être que je visiterais chacun de ces pays. Peut-être pas. Peut-être aucun. Peut-être l’année prochaine, peut-être dans 10 ans, peut-être dans 6 mois.

Ça n’a aucune importance.

Le voyage ouvre des portes qu’on ne saurait refermer sans perdre ce qu’il nous a donné de plus précieux : l’irrépressible sentiment qu’on est plus gâté lorsque l’on donne que lorsque l’on reçoit.


Ces instants là n’ont pas de prix et c’est là toute leur valeur. Ils agissent comme la plus grande des richesses, sont irrévocables, insaisissables et font de nous ce que nous sommes. Pierre par pierre, pas à pas, frontière par frontière, je déconstruis celle que je croyais être pour mieux imaginer celle que je suis réellement. C’est ce que j’étais venue chercher et, comme toujours, ma bonne étoile s’est débrouillée pour que je l’obtienne.


Merci. Merci la vie, le ciel, les étoiles. Merci au Petit Prince qui rit dans l’une d’elles. Aux messieurs cramoisis qui me rappellent que je ne dois jamais rester trop longtemps à ma place, que ma place est toujours un pas plus loin.

Merci pour la force que je me découvre, les peurs que je surpasse, les larmes que je ravale et les sourire que je donne. Mais aussi pour les larmes que je laisse couler et les sourires que je garde pour moi.

Merci pour les bras que j’ouvre et les baisers que je dépose. Merci, parce que je ne connais aucune drogue qui puisse surpasser ce sentiment enivrant que d’être en vie, de la racine des cheveux au bout des orteils.

Merci, j’ai reçu plus en quelques semaines que je n’aurai pu espérer en une vie.

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