Comment on fait un bébé ? #2 Jalouser les autres


Avril 2022


Il y a une autre chose que je n’avais pas mesurée avant d’être dans un projet bébé, c’est à quel point je deviendrai jalouse.

Ça a commencé avant même de retirer ma contraception. Voir des personnes que je connais tomber enceinte m’a fait chaque fois un pincement au cœur. J’ai chaque fois eu une mauvaise pensée envers ces femmes qui, vraiment, ne m’ont rien fait.

Là où j’ai totalement vrillé, c’est lorsque, la semaine même où je faisais retirer mon DIU, on apprenait la grossesse d’une amie de notre groupe de proches. Je n’étais pas là à l’annonce et tant mieux je crois. Je me serais détestée d’avoir une réaction merdique alors que c’est un moment joyeux pour eux.


Il y a quelques mois, alors que l’idée d’avoir un enfant était déjà très présente mais que le projet n’était pas actuel, j’ai rêvé que j’étais enceinte. J’annonçais alors sur facebook la nouvelle, par un texte fleuve dans lequel je disais, en substance : “à celles qui lisent cette nouvelle un pincement au cœur, je vous comprends, j’ai été a votre place et je sais à quel point ce genre de nouvelle peut-être douloureuse. Qu’on soit en train d’essayer ou non. Je sais aussi comme on se sent merdique d’avoir ce genre de pensée. Mais sachez que je comprends : vous avez le droit de ne pas vous réjouir de ma bonne nouvelle”.

Dans mon demi sommeil qui suivra, je me dirais que c’est une super idée pour annoncer une future grossesse. J’ai renoncé au réveil complet à faire ce genre d’annonce mais je ne renonce pas à l’idée qu’il est essentiel de dire que j’ai ressenti ça et que je ne suis certainement pas la seule. Que je me suis sentie merdique, que j’ai eu à mon égard les pires pensées mais que ça n’a rien changé au fait que les annonces de grossesse, en particulier venant de mon entourage, m’ont fait de la peine.


Avant d’aller un peu plus loin dans ce que j’ai ressenti, je voudrai juste dire très clairement : ces sentiments m’appartiennent, ils ne sont en aucun cas le fait de qui que ce soit d’autre que moi. Je prends l’entière et pleine responsabilité de tout ce qui m’a traversé et surtout, il ne s’agit pas d’animosité personnelle. Il s’agit de moi, de mon ressenti et de ce que ces annonces ont fait résonner en moi. Je ne souhaite pas que ces mots puissent être considérés comme étant à charge envers qui que ce soit.


L’annonce de grossesse qui m’a le plus bouleversée a donc eu lieu la semaine même où j’arrêtais ma contraception, cette même semaine dans laquelle j’avais évité tout rapport par angoisse et stress. J’ai été contrariée de ne pas être présente lors de l’annonce, contrariée que mon mec attende que je rentre de weekend pour me le dire, contrariée qu’il n’ait quasiment aucune réponse sur les questions que je lui ai posé à ce sujet. Puis j’ai mis tout ça de côté et je suis passée à autre chose.


Le problème, c’est que lorsque quelque chose qu’on veut éviter se déroule dans un cercle proche et a tendance à devenir de plus en plus visible au fil des mois, il est difficile d'esquiver longtemps. Cette semaine il y a eu deux propositions incluant la possibilité de me retrouver de nouveau confrontée à mes pensées douloureuses.

Une première invitation pour cet été, qui m’a mise dans un état assez irrationnel, mais que j’ai pu vite régler avec l’idée que l’été c’est dans 3 mois et d’ici là j’ai le temps de trouver une solution.

Une seconde invitation pour ce weekend, qui celle-ci nécessitait de me confronter à l’idée rapidement.

J’ai du mal à savoir ce qui m’a le plus perturbé, les pensées que j’ai eu, à savoir : je n’ai absolument pas envie de me retrouver dans une situation dans laquelle je dois écouter parler de la grossesse d’une autre femme et avoir l’air contente de le faire (j’ai d’ailleurs déjà eu à faire ça quelques jours après mon IVG et c’était tellement douloureux que sincèrement je veux à tout prix m’éviter ça une seconde fois, même dans un contexte qui serait totalement différent).

Ou alors, peut-être que ce qui a été le plus perturbant c’est le tiraillement en moi : je sais que mes pensées ne sont pas belles, chouettes et même qu’elles sont injustes, je me sens merdeuse, j’ai envie de me gifler, mais je n’ai aucun moyen pour les faire stopper.


A l’heure à laquelle j’écris (je ne sais pas si et quand ce texte sera publié), je viens de passer une bonne partie de la nuit à pleurer et me maudire en ressassant tous les mots entendus sur cette grossesse et tout ce que je pouvais imaginer d’une scène dans laquelle je serai avec avec une femme enceinte : ça commence à se voir, écouter des mots sur la grossesse, la main sur le ventre, les gens heureux à propos de ça.

Rien que d’y penser je me sens mal. Je me sens mal de ne pas être cette personne heureuse pour les autres. J’espère sincèrement que ces sentiments vont rapidement s’apaiser mais il faut les vivre je pense, pour en appréhender la violence.


Je ne sais pas si ce texte sera publié un jour, autant je peux facilement assumer l’idée de la jalousie, autant j’assume peu le fait d’avoir eu ces pensées envers des personnes que j’apprécie et à qui je souhaite sincèrement tout le bonheur possible. 

Pourtant, j’espère que j’arriverai à le publier, parce que je sais que si on ne lit que rarement ce genre de choses, elles n’existent pas moins pour autant. Je sais aussi que quand on lit ou entend quelque part “moi aussi j’ai ressenti ça” on se sent un peu moins nulle et on en fait un peu moins une affaire d’Etat et, surtout, on imaginerait ensemble des moyens que ça nous impacte moins et que ça n’impacte pas les autres.


_____________________________________________

Update : aujourd’hui je suis enceinte et je comprends parfaitement qu’on puisse ressentir à mon égard tout ce que j’ai ressenti quand moi je rêvais d’être enceinte à l’égard de celles qui l’étaient. Ces sentiments existent pour une raison, ils disent quelque chose qu’il faut écouter, ils disent probablement un besoin à combler. Dans les jours qui ont suivi ce texte, j’en ai parlé avec ma psy qui m’a aidé à identifier ce qui me faisait réagir ainsi et à combler les besoins qui étaient exprimés. N’hésitez pas à vous confier à une personne bienveillante et si vous le pouvez à un.e professionnel.le de santé.


Commentaires

  1. Je l'ai ressenti aussi. Celles qui annoncent leur grossesse alors que toi tu essayes, tu ne sais pas si / quand ça va marcher. Peut-être pas au point de fuir les situations avec des personnes enceintes, mais en tout cas, cette annonce qui rend triste et jalouse. Envieuse.
    Maintenant, il y a cette sensation un peu envers celles qui annoncent une deuxième grossesse. Je n'arrive pas à savoir si oui ou non je veux un autre enfant, le climat m'angoisse, l'investissement des premières années aussi et je n'arrive pas à prendre cette décision même si j'en ai peut-être un peu envie. Et alors quand des personnes annoncent qu'elles sont enceintes du 2e, je ressens un mélange d'émotions, entre l'envie (d'être enceinte, d'être capable de faire ce choix que je suis incapable de faire...) et la tristesse (de ne pas réussir à me détacher de tous mes questionnements alors que ça a l'air simple pour les autres)... Et c'est particulièrement prégnant (oh le jeu de mot involontaire) quand ce sont des femmes qui ont eu leur premier enfant après moi. C'est pas rationnel, il n'y a pas de course, mais c'est comme ça, nos sentiments et émotions sont légitimes. Et souvent universels...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés