Comment on fait un bébé ? #15 Babybump




Septembre 2022


Avant d’être enceinte, quand je pensais au ventre de grossesse, je croyais que c’était un changement qu’on intégrait facilement pour ce qu’il était, que les femmes enceintes regardaient (pour la plupart) leur ventre s’arrondir avec tendresse, sans que cela ne pose plus de problèmes ou de questionnement que ça.

J’ai rapidement vu mon ventre changer, si ça n’était pas forcément perceptible pour les autres, pour moi ça a été très rapide. Aujourd’hui j’ai un babybump assez visible, qui laisse de moins en moins de place à interprétation. Pour les autres.

Pour moi c’est un chamboulement. C’est déjà le rappel régulier qu’entre ce que je perçois du reflet du miroir et la réalité il y a un monde. Je me vois plus grosse que je ne suis, et ça depuis l’adolescence. Le babybump n’échappe pas à la règle. Sauf que mon cerveau n’a pas encore intégré l’info, je crois pouvoir passer dans des interstices qui sont aujourd’hui trop étroits pour moi et j’oublie souvent ce que mon profil raconte des bouleversements actuels et à venir dans ma vie.

Tout ça est finalement assez gérable, j’ai l’habitude de me percevoir plus grosse que je ne suis, un peu moins de mal évaluer la place que je prends et les mouvements que je peux faire, mais je m’adapte. Ce qui est dur, c’est ce que je vois souvent en regardant mon ventre.


Je trouve que mon ventre ressemble à celui d’une personne souffrant de problèmes de foie, je trouve que j’ai un ventre d’alcoolique atteint de cirrhose, je trouve que j’ai un ventre qui ressemble à celui que ma mère a eu les dernières années de sa vie. Le ventre d’une personne malade du foie.

Quand je regarde mon profil dans un miroir, surtout si les vêtements ne tombent pas bien, c’est la maladie que je vois. Celle qui a emporté ma mère.

Ca, je ne l’aurai jamais imaginé avant. Avant je pensais qu’il aurait été facile pour moi d’apprivoiser ce ventre. Avant je croyais que la majorité du temps je serai en paix avec ce profil.


Alors je pose ma main sur le ventre pour bien montrer qu’il abrite un enfant, je porte des vêtements de grossesse pour mettre en valeur ce ventre pour ce qu’il est. J’essaye de faire la paix et ça passe par le regard des autres. J’ai besoin qu’on sache que ce ventre est celui qui porte la vie et non celui qui pourri. J’ai besoin de couper le lien invisible que mon esprit a tissé entre la maison de mon bébé et la maladie de ma mère.

C’est douloureux d’avoir ces pensées, de voir quelque chose d’aussi violent alors que j’aimerai ne voir que l’amour qui a conduit à cette grossesse. C’est douloureux mais c’est la réalité. Pas toute la réalité mais une partie. Parce que même si parfois je regarde mon ventre et je réalise pleinement qu’il porte la vie, même si ça m’émeut profondément de prendre conscience de ça, même si lorsque mon enfant s’agite dans tous les sens et qu’il fait un peu trembler ma peau je lui parle, je ne peux pas faire comme si le reste n’existait pas. Je ne peux pas faire comme s’il ne se passait pas une journée sans que je me dise “mais ce ventre, c’est le ventre de la maladie de ma mère”. Parce que c’est aussi la réalité, c’est aussi ma réalité, c’est ce que je pense et ce que je ressens. Ca existe, alors je crois qu’il est important pour moi d’en parler.


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